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que le gendre d’Avitus, devenu évêque à son tour, tâcha de réaliser » Dès qu’il pouvait sans crime respirer quelques momens au sein de sa famille ou vaquer à quelque travail littéraire, il courait s’enfermer dans sa bibliothèque, au milieu de ses livres bien-aimés. Là, s’inspirant des vieux oracles de Rome et d’Athènes païennes, il essayait d’en faire passer les beautés soit dans son traité théologique des Causes, soit dans une histoire de la guerre d’Attila, dont il n’écrivit que les premières pages. Sa femme Papianilla, devenue sa sœur, aux termes des canons, venait aussitôt prendre place près de lui avec ses filles, dont l’aînée, Sévériana, atteinte d’une toux opiniâtre, était pour la famille un douloureux objet d’inquiétude. Apollinaris arrivait de son côté, un livre en main, et Sidoine se mettait à commenter quelqu’un de ses auteurs favoris, Virgile, Homère, Euripide, Térence. Il nous a dessiné lui-même, en quelques traits qui ne manquent point de grâce, une de ces petites scènes de famille qui devaient se renouveler souvent : « Dernièrement, écrit-il à un de ses amis, mon fils, son Térence sous les yeux, savourait le sel délicat de l’Hécyre ; oubliant l’évêque pour le père, je l’assistais dans sa lecture. Afin de lui mieux faire sentir par la comparaison le charme de cette poésie, je pris un Ménandre, et je l’ouvris à la pièce qui traite du même sujet ; tu sais que c’est l’Epitreponte. Nous lisions tour à tour, rapprochant les textes, jugeant, échangeant mille saillies, gais et satisfaits tous deux, et tous deux remplis d’admiration, lui pour Térence, moi pour mon fils. »

À l’heure du repas, on se réunissait autour d’une table frugale, mais servie avec le luxe qu’exigeaient la condition d’un Apollinaire et celle d’une fille d’empereur. Tout survenant était bien reçu, et le pauvre mieux encore que le riche. Il arrivait parfois que Sidoine, dans un élan d’ardente charité, distribuait aux indigens quelque pièce d’argenterie qu’il regardait comme un meuble superflu. Papianilla intervenait alors au nom du décorum de sa maison, et une querelle éclatait dans le ménage de l’évêque ; mais celui-ci, pour rétablir la paix troublée, courait bien vite racheter des mains des pauvres ou de celles de l’orfèvre les dons de son imprudente libéralité. Nous devons ces détails à Grégoire de Tours, qui les avait puisés dans les traditions de l’église de Clermont.


II

Sidoine Apollinaire menait depuis environ un an cette vie si pleine de labeurs, de devoirs et de vertus, quand la mort de l’évêque de Bourges, métropolitain de la première Aquitaine, province dont la cité d’Auvergne faisait partie, vint lui donner de nouveaux embarras