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Sauveur. Les traits réguliers sans beauté, les yeux assez petits et un peu écartés n’ont qu’une expression d’intelligence où rien ne se lit d’élevé et de tragique comme le sujet. La sublimité n’a pas encore pénétré dans la manière du peintre. Je crois que je préférerais à la collection Tosi les tableaux de la galerie Lecchi, surtout s’ils sont originaux. Buonvicino, dit le Moretto, peintre que l’on apprend à connaître à Brescia, a là un excellent portrait. J’y ai remarqué une très belle réduction d’une Assomption du Tintoret. Malheureusement cette collection est, dit-on, destinée à être dispersée ; M. Le général Lecchi s’est retiré en Piémont. À Brescia, on trouve partout des traces de la lutte de 1848. On vous y montre avec respect un des palais Martinengo, appartenant à un honorable membre de cette famille compromis alors par les événemens. Brescia s’est toujours signalée par son indépendance. Au XIIe siècle, elle donnait au monde un des précurseurs de la liberté de penser. Arnauld de Brescia a eu cet honneur que l’intolérance l’a assimilé à Pierre Abélard. Plus hardi, il fut plus cruellement persécuté. Au siècle de la révolution française, Brescia en épousa les principes, et, malgré le souvenir des rigueurs dévastatrices de Gaston de Foix, elle se déclara vivement pour nous en 1797. En 1848, la population força la garnison autrichienne à s’enfermer dans la citadelle, qui domine la ville d’une manière à la fois pittoresque et menaçante. Elle y tint bloqué un ou deux mois le général Haynau, qui s’en consola en canonnant quelques édifices.

Brescia a deux hôtels de ville et deux cathédrales : le Broletto du XIIe siècle, ancien palais de la république, et le Palazzo della Loggia du XVe siècle, recommandés par le nom des plus grands architectes du nord de l’Italie ; le Duomo vecchio, dont on fait remonter la fondation au temps de Charlemagne et par-delà, et tout auprès, le Duomo nuovo, commencé en 1604, et qui n’a été terminé qu’il y a trente ans. Ces deux églises, qui se touchent sur la place du Broletto, sont, chacune dans son genre, des monumens très remarquables. L’intérieur de la plus vieille m’a paru admirable, et rappelle le temple antique qui l’a précédée. La nouvelle, toute couverte de marbre, est un modèle de style moderne. Son dôme est un des plus grands de l’Italie, et s’élève au centre d’une croix latine renversée, ou, si l’on veut, d’une croix grecque qui se prolonge du côté du maître-autel plus que du côté du portail. L’une et l’autre cathédrale sont richement ornées, et le Moretto brille dans la première par d’excellens ouvrages ; mais aucune peut-être des églises de Brescia n’est plus magnifique que Saint-Dominique dans le style romain, aucune ne contient plus de beaux tableaux que Sainte-Affre. On y montre une Femme adultère, le plus beau Titien que j’eusse vu avant d’aller à Venise.