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La ville où naquit Catulle, la ville de Roméo et Juliette, est célèbre par sa situation et très digne de sa célébrité. Entourée de riches campagnes en pente douce, adossée à des montagnes étagées en gradins, qui deviennent plus haut des escarpemens, Vérone est un lieu qu’il est plus facile de vanter que de peindre. Site, monumens, souvenirs, tout y serait fait pour captiver le voyageur sans cette malheureuse position stratégique qui a fait choisir Vérone pour le centre des forces autrichiennes. Bourrée de casernes, cerclée de forts détachés, maîtrisée par une formidable citadelle, munie ou plutôt affligée d’une garnison de dix-huit mille hommes, de la présence d’un feld-maréchal et de quatorze officiers généraux, elle est comme vouée au germanisme. Beaucoup d’Allemands sont venus s’y établir. Les noms qu’on lit au-dessus des boutiques en font foi. Par suite, une certaine activité s’est développée dans le commerce local, la prospérité s’est accrue, et l’on dit que l’esprit de la population a pris un tour officiel. — Ne nous occupons que du passé de Vérone.

Non loin du château et du pont de l’Adige, fortifiés à l’ancienne manière et surmontés l’un et l’autre d’un parapet à créneaux triangulairement découpés, s’élève un amphithéâtre aussi vaste, je crois, et à l’intérieur mieux conservé que les arènes de Nîmes, malgré ses dix-sept ou dix-huit cents ans d’antiquité. La grandeur de ces lieux de divertissement impose toujours et atteste qu’en tout temps chez les anciens l’art a été populaire par destination. Tous les voyageurs s’indignent que ce monument immense soit encore employé à des représentations théâtrales qui, j’en conviens, n’ont rien d’antique. Quand je l’ai visité, une baraque en planches couvrait un théâtre disposé comme ceux des enfans, et dont les spectateurs occupaient en plein air des tribunes latérales improvisées en sapin. Le sol de l’arène servait de parterre, et une section de l’amphithéâtre était comme le fond de la salle. La scène, placée en dehors du grand axe de l’ellipse, n’occupait guère qu’un huitième de sa superficie. Tout cet arrangement était pitoyable; un antiquaire eût été fondé à crier à la profanation. On ne pouvait interdire l’amphithéâtre, monument public, aux curieux, et cependant ils n’y pouvaient entrer sans devenir spectateurs inévitables de la représentation. On se bornait donc à exiger à la porte une rétribution très modeste que j’acquittai sans savoir ce qui m’attendait, et je faisais le tour de l’édifice sur son rang de gradins le plus élevé, quand j’aperçus d’une hauteur de près de quarante mètres ce théâtre qui ressemblait à un joujou. Le public assez nombreux suivait le spectacle avec un intérêt vif et bruyant, et un coup d’œil sur la scène m’apprit bientôt que j’assistais à la représentation du Festin de Pierre. C’était une imitation assez fidèle de la comédie de Molière. Le cinquième acte venait de