Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commencer, et Elvire adressait à don Juan cette sommation dernière de la vertu irritée, plus propre à le perdre qu’à le sauver. Le don Juan en habit noir à l’espagnole se démenait sur la scène avec assez d’aisance. Le Sganarelle, sous le nom de Menecchino, personnage bouffon du théâtre de Milan, parlait le patois de cette dernière ville au grand amusement des assistans. J’en fus surpris, mais j’avoue que le spectacle ne tarda pas à m’intéresser. L’entrée de la statue du commandeur fit impression ; puis le fond du théâtre s’ouvrit et laissa voir la bouche de l’enfer où des démons précipitèrent don Juan et, par-dessus le marché, Sganarelle, qui se débattait et criait de toutes ses forces au milieu des rires universels. Assurément la représentation était médiocre pour le moins, les acteurs fort vulgaires, et c’est, j’en conviens volontiers, une faute de goût que de dresser les tréteaux de la foire dans cette arène ennoblie par son antiquité majestueuse comme par sa grandeur, et cependant d’un point beaucoup plus haut que tous les toits de Vérone, séparé de l’acteur par un rayon visuel d’au moins quatre-vingts mètres, je pouvais à la fois suivre le dialogue, distinguer les impressions du public, m’unir enfin au mouvement de la scène et de l’assemblée. Sous la voûte du ciel éclairé des derniers feux du jour, ce trémoussement de quelques marionnettes humaines ne se perdait pas, ainsi qu’on aurait pu s’y attendre, comme le bruit d’une pierre jetée dans la mer. Ces spectacles en plein air, aimés du peuple italien, ont beau déranger nos habitudes, ils sont plus dramatiques que je ne l’aurais pensé, et ce procédé théâtral, bien employé, secondé par une mise en scène telle qu’on la réglerait à Paris, pourrait nous initier à des effets tout nouveaux.

La porta dei Borsari est, après l’Arena, la plus importante des antiquités de Vérone. C’est une porte d’entrée élevée sous l’empereur Gallien, mais très dégradée, et dont le mérite a besoin, pour être aperçu, d’un examen plus savant que le nôtre. Souffrez donc que nous sautions en plein moyen âge, en gagnant le centre de la cité. Là se trouvent deux places qui ont leurs analogues dans toutes les villes de la contrée, la place des Seigneurs et la place aux Herbes. Sur la première s’élève le palais du Conseil, construction du XVe siècle, ornée des statues de Catulle, de Cornélius Nepos, de Pline le Jeune que Vérone dispute à Côme. Deux autres palais à la moderne et un beau campanile de briques, haut de près de quatre-vingt-dix mètres, servent d’accompagnement au palais du Conseil. Sur l’autre place, la bourse ou la maison des Marchands, d’une architecture plus ancienne, est pour nous un des premiers échantillons de ce style oriental dont nous verrons tant de modèles à Venise. Sur la gauche, une colonne ou plutôt un pilier de ce marbre rosacé qu’on appelle