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la pierre de Vérone devait supporter le lion de Saint-Marc, signe de la domination des Vénitiens. D’autres monumens rapprochés dans ce petit espace y constatent des franchises ou des coutumes municipales. Ce marché aux légumes est un des lieux où se dessine le plus visiblement le caractère d’une des grandes communes italiennes du moyen âge. Et comme partout au moyen âge, près de la liberté, la tyrannie : non loin de là, sur l’ancien cimetière de la petite église de Santa-Maria-l’Antiqua, se serrent les uns contre les autres les tombeaux des seigneurs della Scala, dont le gouvernement, parfois cruel, ne fut ni sans vigueur ni sans éclat, et qui eurent l’honneur d’offrir un asile à Dante fugitif. L’austère Alighieri a célébré dans ses vers la cortesia del gran Lombardo, Barthélemi Scaliger, et celui qui a reçu en naissant l’influence des astres, Can Grande[1]. Neuf ou dix de ces princes, porteurs de noms bizarres, sont ensevelis pour ainsi dire dans la rue, et leurs monumens inégaux et singuliers diffèrent entre eux comme la simple croix sur une pierre et la statue équestre sur un piédestal. Ce coin de Vérone est un lieu tout historique, et dont la vue reporte aussitôt l’esprit au temps et aux hommes qui semblent l’avoir marqué de vestiges ineffaçables.

Les églises de Vérone me paraissent de celles que le goût moderne a le moins altérées. La pierre du pays leur donne une teinte toute particulière; mêlée à des marbres diversement colorés, elle produit de piquans effets. Des assises alternées de marbre et de briques distinguent la basilique de Saint-Zénon. C’est un monument lombard du XIIe siècle; point de transept; la nef est d’une grandeur admirable. De belles colonnes antiques, sculptées un peu grossièrement, la séparent de ses bas-côtés, et sont unies par des arceaux demi-circulaires. Le chœur est d’une époque plus récente et du style ogival; mais sans compter des accessoires divers, autels, vases, statues, tombeaux d’un effet imposant ou original, cette basilique est un des édifices qui laissent un souvenir. La tour ou le clocher, isolé suivant l’usage italien, est fort beau. Je ne puis que nommer la cathédrale, Santa-Maria-Matricolare, édifice fort ancien qu’on attribue à Charlemagne, peut-être parce que le porche a pour sentinelles les statues de deux de ses paladins, Roland et Olivier. L’exécution en est plus que naïve, et tous les symboles qui les entourent sont d’un temps assez reculé. Sainte-Anastasie, d’un gothique italien très pur; Sainte-Euphémie, bâtie par les Scaligers; Saint-Ferme-Majeur, remarquable par sa grandeur et par ses tombeaux, telles sont les églises qu’il faut voir avant de quitter Vérone. Je ne dis rien des tableaux, non que ces églises en soient dépourvues et n’en pos-

  1. Paradiso, XVII, 71.