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Scioto-Town. Bussy, de son côté, feignait le plus amoureux empressement, et la menaçait d’un voyage à New-York. — Qu’il s’en garde bien! pensa Cora. Qui sait ce que le hasard peut amener?... — Elle écrivit à Samuel :

« Mon cher père, dans huit jours je serai à Scioto-Town. Jusque-là, prenez patience, vous pourriez regretter de m’avoir trop pressée d’exécuter un marché sur lequel vous ne m’avez pas consultée. Recevez toujours M. Bussy comme un gendre futur : il est bon d’avoir deux cordes à son arc. En attendant, agréez, cher père, l’expression de la tendresse de votre dévouée

« CORA.»


Le même jour, elle écrivit à Bussy :

«New-York, 14 août 184...

« Je vous remercie, monsieur, du choix que vous avez bien voulu faire de moi pour votre femme. Dois-je l’avouer? Mon cœur peut-être avait prévenu le vôtre, et si je montrai d’abord quelque froideur, croyez qu’il n’en faut accuser que la réserve, qui est l’arme naturelle de mon sexe. Je voulais éprouver votre constance. Aujourd’hui je sais et je sens combien vous m’aimez, et moi aussi je vous aime.

« Mon père me presse de partir aujourd’hui même pour Scioto; mais mon père est un homme d’affaires exact et probe, qui ne connaît que ses échéances. Il n’entend rien aux délicatesses de l’amour. De bonne foi, monsieur, le mariage est-il un paiement qu’on doive faire à époque fixe, et n’est-ce pas froisser la sainte pudeur de la femme que de la presser trop vivement dans une circonstance aussi solennelle? Soyez assez bon pour faire comprendre à mon père qu’on n’expédie pas une fiancée par le chemin de fer comme un simple colis, et qu’il y a des ménagemens à garder avec le monde. C’est le premier service que je vous prie de me rendre, et si vous avez pour moi tout l’amour que vous me jurez, et auquel je crois, vous ne me refuserez pas un délai de quelques jours.

« Voulez-vous savoir le secret de ces retards? On ne se marie pas sans robe, et j’attends de France une robe qui est une perle véritable, et dont les dentelles doivent faire mourir de jalousie toutes les belles de New-York. Voudriez-vous que votre femme fût habillée comme tout le monde le jour de son mariage? Excusez ma frivolité, et croyez-moi, cher Bussy, votre obéissante et tendre

« CORA. »


Samuel, en recevant la lettre de sa fille, la froissa avec colère. — Encore quelque folie! dit-il. Je lui ai trouvé un mari qui est riche, jeune, beau et bon compagnon, et elle le refuse! Elle lâche