Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passer le gulfstream trop au-dessous de l’Islande, et qu’ils étendent trop le domaine du contre-courant qui passe entre cette île et le Groënland, car, d’après leurs cartes, le navire désemparé fût descendu vers le sud et eût quitté à jamais les parages de la banquise près de laquelle il avait été vu d’abord.

Ouvrez (page 145 du vingt-troisième volume de la Société géographique anglaise) le mémoire du docteur Rink, de Copenhague ; vous y verrez de nombreux fleuves de glace débouchant dans la mer par de profondes vallées comblées de glaces semblables à celles de nos glaciers des Alpes. Quand ces masses, poussées par une force irrésistible qui les moule comme un métal ductile, ne sont pas soutenues par la terre et font saillie au large, l’extrémité se brise avec fracas, et voilà une montagne de glace fabriquée par la nature. Un de ces fragmens de glace, dit le docteur Rink, si on l’échouait à sec sur la côte, donnerait une montagne de plus de 300 mètres de haut. Les explorateurs de la Reine-Hortense ont vu mieux encore : ils en ont vu de trois fois la hauteur du Mont-Valérien au-dessus de la Seine. Ainsi, en se figurant ce mont, qui fait perspective aux brillans promeneurs du bois de Boulogne, comme un bloc, une île de glace flottante, dure et compacte, on aura en petit, très en petit, l’idée d’une de ces masses voyageuses qui descendent le détroit de Davis pour marcher vers Terre-Neuve et les États-Unis. Je dis que cette glace est dure et compacte, car la Reine-Hortense, ayant essayé ses boulets sur d’insolens petits icebergs qui venaient parader près d’elle, ne les a pas même troublés dans leur promenade. C’est ainsi que dans les contes et les légendes on voit en frémissant un spectre frappé d’un coup de feu bien assuré dire froidement à son antagoniste terrifié : « Continue ! »

L’expédition a donné le bon exemple de jeter dans la mer des blocs de bois percés d’un trou contenant une fiole avec un papier portant la date et la position géographique du lieu où ce bloc avait été jeté. Plusieurs de ces indicateurs ont été recueillis, et on a transmis à l’amirauté de France le lieu et la date de l’atterrissement. On conçoit que les bouteilles que les marins jettent souvent à la mer n’auraient pas beau jeu au milieu des glaces flottantes. Pour constater le courant dirigé vers l’est qui longe toute la Sibérie, il faudrait jeter un grand nombre de ces blocs dans le détroit qui, à l’est de la Mer-Blanche, sépare le continent de la Nouvelle-Zemble, et on les verrait reparaître aux alentours du détroit de Behring, où l’on prétend du reste que l’on a pris des baleines qui portaient les harpons dont elles avaient été frappées dans les mers du Spitzberg. L’expédition a constaté par des témoignages unanimes la détérioration du climat dans le Groënland, l’Islande et le Spitzberg. Le Groënland, à quelques kilomètres des côtes, n’est plus qu’un immense glacier pareil