qui a pu de nouveau quitter Cawnpore et repasser le Gange ; toutefois le succès de la marche de cet audacieux général n’était point encore un fait, accompli il y a un mois. À Madras et à Bombay, les symptômes sont les mêmes que par le passé : nulle commotion générale ; les révoltes partielles des troupes indigènes sont facilement neutralisées par des désarmemens. Sur certains points seulement, une sourde fermentation règne. En un mot, tout compensé, si la prise de Delhi est un grand pas fait par l’Angleterre, cette insurrection, qui a son foyer principal dans le Bengale, n’est pas encore vaincue. La situation générale de l’empire britannique dans l’extrême Orient demeure pleine d’incertitudes et de mystères, et chaque jour apporte quelque lugubre révélation de plus sur cette succession de meurtres et de scènes barbares qui ont désolé ces contrées depuis quelques mois. La seule impression nette et claire qui reste eh définitive, c’est que l’Angleterre ne sombrera point à coup sûr dans cette terrible aventure où elle est engagée ; mais elle a devant elle une œuvre nouvelle à recommencer, une œuvre où la politique a autant de part que l’épée.
Dans le mouvement des choses, il n’y a pas seulement ces affaires des peuples et ces luttes où se débattent des intérêts de domination. Il est des hommes qui ont eu le privilège de représenter un moment particulier de l’histoire d’un pays, et quand ces hommes disparaissent, leur mort est comme un événement politique : elle rappelle aussitôt ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont été, les services qu’ils ont rendus. Telle est aujourd’hui en France la mort soudaine et imprévue du général Cavaignac, qui vient d’être emporté en un instant dans la retraite prématurée que les événemens lui avaient faite. Le général Cavaignac n’était arrivé que tard dans la politique, et il y avait trouvé subitement un rôle exceptionnel. La première partie de sa carrière s’était passée dans les camps, dans cette rude vie de la guerre d’Afrique. Là il se formait, montant de degré en degré jusqu’au sommet de la hiérarchie militaire, et plus d’une fois dans ces glorieuses années il donna l’exemple, entre tant d’autres, des plus mâles et des plus sévères qualités du soldat. Il était de cette brillante et héroïque pléiade de jeunes généraux qui se groupaient et grandissaient sous l’illustre maréchal Bugeaud. C’est là que le surprit la révolution de 1848. La république espérait peut-être rencontrer en lui un général démagogue ; elle trouva un homme plein du sentiment de l’honneur du pays et de l’armée, façonné à la discipline, dévoué sans doute par conviction aux institutions nouvelles, mais décidé à les conserver pures d’excès, et au besoin à les défendre contre le fanatisme des sectaires. Le jour où l’anarchie se montra, il se trouva naturellement l’homme de la société et de la France. Combien d’hommes ont eu cette fortune de tenir un jour à la pointe de leur épée les destinées de leur pays ! Porté à la dictature par la plus terrible des insurrections, le général Cavaignac exerça le pouvoir simplement et dignement, de même qu’il sut le quitter, sans le disputer et sans s’abaisser. Lorsque les événemens changèrent encore une fois les destinées de la France, il se retira de la scène. Deux fois cependant, en 1852 et tout récemment encore, il fut élu député au corps législatif. Il n’avait point accepté le mandat que lui avait conféré la première élection de 1852. Il ne s’agit point ici de discuter une question de parti, d’apprécier la valeur des opinions républicaines. Le fait est que pour tous le général Cavaignac