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s’étaient assez librement développées chez lui pour qu’il n’eût rien à craindre des mauvaises influences auxquelles Osman, moins bien trempé pour la lutte, avait prématurément succombé.

La conversation entre Benjamin et le capitaine turco-polonais fut assez insignifiante. Le capitaine, après avoir assuré Benjamin de sa bienveillance, n’eut garde de prolonger un entretien que sa connaissance incomplète de la langue turque et la timidité du jeune homme rendaient peu intéressant. Benjamin de son côté avait hâte de prendre congé de son protecteur pour s’occuper du principal objet de son voyage. Aussi, dès qu’il fut sorti de la maison du capitaine, son premier soin fut-il de courir à une mosquée, rendez-vous ordinaire des saints personnages qui font métier en pays musulman de prédire l’avenir et de répondre gravement, pour une poignée de piastres, aux questions les plus excentriques. Grâce à quelques informations prises chez le capitaine, Benjamin savait d’ailleurs qu’il rencontrerait à coup sûr dans la cour de cette mosquée un vieux derviche, très renommé à Angora et aux environs comme donneur de conseils et faiseur de miracles.

Nul lieu n’était plus propre à inspirer la confiance et un pieux recueillement que l’enceinte sacrée où s’était installé le célèbre derviche. Dans un des coins de la cour qui entourait la mosquée, un groupe de cerisiers et d’amandiers projetait une ombre bienfaisante sur le pieux vieillard et sur une fontaine limpide servant aux ablutions des fidèles. Un petit tapis de Smyrne étendu près du derviche était destiné à préserver ses genoux et son front du contact des pierres auquel l’exposaient ses nombreuses génuflexions. Benjamin s’approcha, vivement ému, du saint homme, baisa et plaça sur son cœur et sur sa tête le pan de sa robe, puis il demeura debout et interdit devant l’oracle qu’il hésitait à consulter. Il aurait voulu que le derviche l’encourageât, mais c’est à peine si Benjamin put se flatter d’en avoir été aperçu : le regard du vieillard restait fixé sur la terre, ses doigts pressaient successivement les grains de son long chapelet, et ses lèvres semblaient murmurer des paroles mystérieuses. Un narghilé allumé était placé auprès du saint, et un petit garçon à la mine fraîche et réjouie soufflait avec béatitude et précaution le charbon à demi consumé, en attendant que le derviche interrompît ses méditations pour aspirer quelques bouffées de tombeki.

— Père ! dit enfin tout bas Benjamin en s’inclinant de nouveau, père !… je venais vous demander vos prières !

Le derviche tendit machinalement la main ; ne recevant rien, il leva la tête et regarda Benjamin d’un air d’étonnement qui redoubla l’embarras de celui-ci. Ce fut le petit souffleur de narghilé qui