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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/287

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avoir le dessus. Personne ne fut donc plus étonné que lui de voir qu’après les premiers momens de confusion et d’incertitude, la loyauté du nouveau roi maintenait le statut, et que, contre toute attente, le gouvernement rentrait dans les voies constitutionnelles et libérales. En homme sincère, il reconnut qu’il s’était trop pressé, et il revint sans pudeur sur ses pas. Désormais dévoué aux ministres, il abandonna le journal de la droite qui l’avait adopté, et il apporta aux feuilles du gouvernement des élucubrations presque quotidiennes, qui, à défaut d’autre mérite, témoignaient de cette sorte de zèle que proscrivait M. de Talleyrand. Il se démena si bien, que le cabinet finit par céder à ses instances et par le porter comme candidat officiel dans un tout petit collège. Cette fois, Poggei, instruit par l’expérience de son précédent échec, se transporta sur les lieux et dressa ses batteries. Au curé il promit de défendre la religion, d’amener un concordat avec Rome et de faire élever le chiffre de ses appointemens. Le pharmacien, chef du parti libéral, avait un mauvais procès ; Poggei lui promit de le lui faire gagner, et ajouta que, s’il était nommé député, la route royale pourrait bien avant peu faire un coude tout exprès pour passer devant l’officine de l’honorable praticien. Pharmacien et curé employèrent leur influence, d’ordinaire opposée, pour faire triompher une candidature qui promettait de leur être si favorable, et Poggei fut élu. Présentement il profite de sa position politique pour augmenter sa clientèle, de son journal pour fortifier sa position politique, de son droit de voter pour attirer les faveurs ministérielles sur lui d’abord, puis sur les siens et sur ses commettans. Il s’est fait décorer, bientôt il se fera noble, en attendant qu’on le fasse ministre, ce qui pourrait bien ne pas tarder.

Je voudrais croire que le chevalier Poggei est un personnage de fantaisie, moins vrai que vraisemblable ; malheureusement les originaux de cette espèce ne sont pas rares, et nous sommes fondé à croire que ce caractère fait plus d’honneur au talent d’observation qu’à l’imagination de l’auteur. Ce qu’on peut reprocher à M. Bersezio, c’est d’avoir trop forcé les teintes, et surtout d’avoir fait son héros tout d’une pièce. À tout prendre, Poggei n’est pas un méchant homme, c’est une conscience élastique, un de ces égoïstes qui pensent que charité bien ordonnée commence et finit par soi-même ; mais la bonté, peut-être la vertu, doit se trouver quelque part dans cette nature peu sympathique : l’impartialité, la vérité, voulaient que l’auteur ne passât point sous silence ce qui peut nous réconcilier avec le personnage et nous montrer l’homme tel qu’il est, ni entièrement bon, ni entièrement mauvais. On peut d’ailleurs plaider pour Poggei les circonstances atténuantes. Les vicissitudes qu’a