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curieux n’est pas isolé, car Procope nous fait connaître qu’au VIe siècle « le Forum était rempli de statues de bronze, qu’on y voyait les œuvres de Phidias, de Lysippe, et la célèbre vache de Myron. » Cassiodore parle encore sous Théodoric « d’un peuple très abondant de statues. » Ces statues avaient donc échappé à ce qu’on appelle la rage des Barbares ; d’autres ennemis plus civilisés et plus dangereux les attendaient. Pour les monumens, nous savons maintenant, par un témoignage positif, ce que la vraisemblance nous avait fait pressentir, qu’au VIe siècle les Barbares n’en avaient pas détruit un seul.

Mais la position topographique de la Rome du moyen âge et de la Rome actuelle, l’aspect que présente la campagne romaine sont dus aux Barbares. Le jour où ils coupèrent les aqueducs, ils produisirent un grand changement dans Rome et hors de Rome. C’est surtout aux Lombards qu’il faut attribuer la dévastation de la campagne romaine, qu’ils ravagèrent à plusieurs reprises pendant près d’un demi-siècle. Ce furent eux qui, soit en coupant les aqueducs, soit seulement en empêchant de les entretenir et de les réparer, privèrent les Romains de l’eau qu’ils recevaient du dehors, et par là les forcèrent à quitter les hauteurs et à se presser aux alentours du Tibre. C’est ainsi que le Champ-de-Mars, inhabité au temps de Cicéron, est devenu l’emplacement principal de la Rome moderne, attirée par le fleuve.

Cette interruption des cours d’eau artificiellement apportés par les aqueducs eut plusieurs résultats déplorables. En même temps que les Romains étaient privés de l’eau salubre des montagnes et réduits à l’eau bourbeuse et malsaine du Tibre, ils voyaient s’arrêter les moulins qui se trouvaient sur la rive droite du fleuve, là où ils sont encore aujourd’hui mis en mouvement au moyen d’un aqueduc que Paul V leur a rendu. Les Romains furent donc pris à la fois par la soif et par la faim. C’est de ce moment que date réellement la substitution de la ville basse à la ville haute et de la Rome misérable du moyen âge à la Rome encore magnifique de l’antiquité.

En même temps les eaux qui n’arrivaient plus à la ville se répandaient dans la campagne romaine, qui cessait d’être cultivée, car grâce aux Lombards les pèlerins mêmes ne pouvaient plus la traverser. Les eaux stagnantes et la dépopulation préparaient le règne lugubre d’un fléau mystérieux, la malaria. Les environs de Rome, longtemps couverts d’habitations, prenaient cet air de solitude et d’abandon qu’ils ont encore. Les aqueducs brisés achevaient de donner à ce singulier paysage sa physionomie mélancolique. La poésie de la campagne romaine est due aux causes qui ont fait sa misère.

Si les Barbares n’ont pas détruit les monumens de Rome, ils n’en