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paternelle et un respect que l’excellente femme méritait sous tous les rapports, une confiance sans bornes enfin, avaient répandu sur une existence monotone et dure au fond les doux rayons du bonheur domestique. De tous les enfans qui avaient béni cette union et épuisé les forces d’Ansha, quatre filles et autant de garçons vivaient encore.

L’aîné des fils, entré comme distributeur de café (caïvédj) chez un pacha établi à Constantinople et élevé plus tard aux fonctions de son secrétaire, s’était marié dans la capitale et n’avait pas revu ses parens depuis nombre d’années. Les deux puînés avaient épousé des filles du pays. L’une des jeunes femmes avait apporté dans sa nouvelle famille un petit champ de riz qui contribuait puissamment à son bien-être, car un champ de riz en Asie équivaut presque à une mine d’or en Californie. L’autre bru, moins favorisée de la fortune, était une orpheline de père et de mère, dont l’enfance délaissée s’était écoulée presque exclusivement dans la maison de Mehemmedda et dans la société de ses filles, jusqu’au jour où le troisième de ses fils s’était aperçu qu’Anifé était charmante, et que personne ne faisait aussi bien qu’elle le sirop de raisin. Il avait donc demandé à son père la permission de l’épouser, et l’avait obtenue sans trop de peine.

Ainsi composée, la famille de Mehemmedda vivait heureuse. Chaque année amenait au moins un nouvel habitant dans la maison de bois ; les femmes étaient suffisamment occupées, et les hommes, cultivant de leurs propres mains les terres dont ils tiraient toutes leurs richesses, épargnaient au père bien des journées de paie. Il ne faudrait pas supposer d’ailleurs que le soin de donner de nouveaux habitans à la maisonnette fût entièrement dévolu aux deux jeunes couples. Ansha, presque aussitôt après avoir marié son second fils, avait mis au jour deux jumeaux, — une fille et un garçon, Malek et Benjamin. Au moment même où commence ce récit, les deux jumeaux étaient âgés de sept ans, et un petit enfant de quelques mois pressait de ses mains délicates les mamelles fécondes de la mère de famille, en y puisant le lait nourricier. Quant aux premières filles de Mehemmedda, toutes étaient mariées dans les environs ; devenues à leur tour mères de famille, elles ne fréquentaient plus guère la maison natale.

Mehemmedda, auquel il est bien temps de revenir, était encore accroupi auprès de la cheminée, lorsque ses deux fils rentrèrent des champs, et se placèrent de l’autre côté du foyer, sur le tapis, aucun des deux n’étant assez malappris pour s’asseoir non invité sur le siège qu’occupait le père de famille. Bientôt après, Ansha, suivie de ses deux brus, apporta la table et le dîner. Sous ce nom de table,