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de théâtre étaient alors les seules œuvres de l’esprit qui rapportassent quelque argent. Cela donna à Goldsmith l’idée d’écrire une comédie. Il prit sur ses momens de repos le temps de composer le Bon Enfant (the Good-natured Man) ; mais il eut à subir toutes les tribulations ordinaires des auteurs dramatiques : il fut renvoyé d’un théâtre à l’autre, de Covent-Garden à Drury-Lane, de Garrick à Colman. Les directeurs lui demandèrent des coupures ; les actrices réclamèrent des tirades qui les fissent valoir ; les acteurs à prétentions refusèrent leur rôle comme trop insignifiant. Après un an d’attente, Goldsmith ne fut joué que quelques jours avant la clôture de la saison. Ses envieux firent un succès de vogue à une mauvaise pièce de Kelly, la Fausse Délicatesse, représentée le même jour que la sienne, et ameutèrent contre le Bon Enfant tous les petits journaux. Goldsmith, du reste, avait eu le tort de vouloir braver le goût de son temps. C’était alors le règne des pièces sentimentales et larmoyantes : rien ne réussissait plus que le mélange du marivaudage et de la sensiblerie. Goldsmith tenait que la comédie est faite surtout pour amuser, et il s’était proposé d’être gai. Sa pièce eut un succès médiocre : elle réussit beaucoup mieux lorsqu’elle fut reprise les années suivantes, et elle a fini par demeurer au répertoire. Elle le mérite : elle est bien faite, quoique l’auteur ait pris toutes les libertés que le théâtre anglais comporte, et malgré une couple de scènes qui semblent voisines de la charge, elle respire une bonne et franche gaieté. Un peu désappointé dans son attente, Goldsmith, dont la santé s’affaiblissait de plus en plus, alla passer l’été à Islington pour y écrire l’histoire romaine que lui avait commandée Davies, et il y composa en même temps son poème du Village abandonné, qu’il publia au mois de mai de l’année suivante.

L’objet de ce nouveau poème est de prouver que le développement de la richesse et du luxe n’est pas toujours une cause de bonheur pour un peuple. L’auteur invoque comme preuve le sort d’un village dont les habitans sont réduits à s’expatrier parce qu’un riche propriétaire a besoin de leurs champs pour agrandir son parc. Quelque chose d’analogue s’était passé à Lissoy depuis que Goldsmith l’avait quitté, et le poète, chez qui la souffrance réveillait souvent le mal du pays, a saisi cette occasion de donner un libre cours à ses regrets, de faire entrer dans le cadre de son œuvre tous les souvenirs qui lui étaient chers. Auburn, c’est Lissoy avec son église sur la hauteur, avec sa petite rivière et son moulin. Le pasteur secourable qui se croit riche avec 40 livres par an n’est autre que le frère de Goldsmith, le bon et vertueux Henri, dont il pleurait la perte récente. De là cette émotion qui respire dans l’œuvre de Goldsmith, et qui fait d’un poème philosophique la plus touchante