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vages et gagné sur eux, par la seule influence de la prédication, une autorité incontestée ; je suppose que le commerce français en eût profité pour faire de cette île une importante relâche dans des mers lointaines et dangereuses, qu’un consul français y eût été établi et y exerçât le gouvernement de fait, du libre consentement des naturels ; je suppose qu’un beau jour, un amiral anglais s’y fût présenté avec des forces navales, qu’il eût, de son autorité privée et sous un prétexte insignifiant, proclamé la souveraineté de l’Angleterre, débarqué des troupes et pris possession du pays ; je suppose enfin que le consul français eût protesté, qu’il eût essayé d’exciter les indigènes à la résistance, que le commandant anglais l’eût mis en prison et qu’on l’eût ensuite embarqué de force pour le ramener en France : quel accueil eût-on fait ici à cette violation de tous les droits, de tous les usages suivis par les nations civilisées, à cette insulte en pleine paix ?

Telle est pourtant la relation exacte de ce qui s’est passé à Taïti, avec cette seule différence qu’il faut mettre l’un des deux pays à la place de l’autre et réciproquement. La foi religieuse, l’honneur national, s’émurent vivement en Angleterre à cette nouvelle ; sir Robert Peel exprima, dans la chambre des communes, le juste sentiment du public en déclarant qu’un grossier outrage avait été commis sur le consul britannique, et qu’on en demanderait réparation. On sait cependant quelle issue a eue cette affaire. La France est restée maîtresse de Taïti, et le consul expulsé n’a reçu qu’une indemnité dérisoire, qui même, dit-on, n’a jamais été payée. Il n’existe peut-être pas de contestation internationale où les torts aient été plus complètement d’un côté et où la partie lésée se soit montrée plus accommodante. En présence du mouvement d’opinion que d’incroyables clameurs avaient suscité en France, sir Robert Peel et lord Aberdeen ont eu certainement raison de ne pas insister, de ne pas rompre l’alliance pour un si petit sujet, mais il faut se sentir bien sûr de son pays pour faire de pareilles concessions ; à leur place, lord Palmerston eût couru aux armes, et cette fois il aurait eu le droit pour lui. Nous avons établi là un précédent que nous regretterons quelque jour.

M. Guizot rappelle en peu de mots les deux autres grandes questions où s’est également manifestée la bonne volonté du cabinet anglais. Le traité sur le droit de visite réciproque en pleine mer pour la recherche des nègres esclaves, ayant excité chez nous des susceptibilités, a été annulé et remplacé par un autre. L’empire du Maroc ayant un moment paru inquiéter nos possessions d’Afrique, une guerre heureuse lui a été faite sur mer et sur terre, malgré l’ombrageuse jalousie des Anglais de Gibraltar. Ni l’une ni l’autre de ces