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Là comme ailleurs, ils ont fait de longues théories et de courtes expériences. Lucrèce convient que ces théories ont besoin de longs circuits :

Et nimiùm longis ambagibus est adeundum.

La définition par énumération a le grave inconvénient d’énoncer des choses provisoirement inconnues : nous éviterons cet écueil en substituant à cette énumération l’historique de la découverte de chaque propriété de l’aimant.

Outre la propriété d’attirer et de retenir le fer, reconnue par les Grecs, les Romains avaient vu que si un aimant enlève un anneau de fer, cet anneau lui-même en enlève un second, et ainsi de suite, en sorte, dit Lucrèce, qu’il se fait une chaîne d’anneaux suspendus l’un à la suite de l’autre. Il est fort douteux que ce peuple, très peu observateur, ait su qu’un aimant pouvait communiquer aux corps sur lesquels il agissait la vertu dont il était doué, soit que cette propriété acquise fût passagère, comme dans le fer doux, soit qu’elle devint permanente, comme dans les barreaux d’acier et dans les aiguilles de boussole, qui sont l’un et l’autre de vrais aimans artificiels. Je ne puis préciser l’époque où l’on a su aimanter l’acier pour la première fois, et, par des assemblages de barreaux, produire des aimans bien supérieurs en force à ceux que nous donne la nature dans les minerais de fer.

S’il est curieux de voir, sans cause apparente, un aimant naturel mettre en mouvement et soutenir contre son poids une masse considérable de fer, il est encore bien plus merveilleux de voir un barreau suspendu par son milieu à un fil, une aiguille mobile sur un pivot, tourner d’eux-mêmes leurs extrémités vers les régions polaires de la terre. C’est indubitablement aux Chinois que nous devons cette admirable découverte. Au moment où la puissance de la race tartare, pesant du nord sur le sud, tant dans l’Europe que dans l’Asie, écrasait à la fois les chrétiens d’Orient, les musulmans d’Asie, les bouddhistes et les Chinois, les envoyés des souverains d’Europe, et notamment ceux de France et d’Allemagne, se rencontrèrent à la cour du grand-khan avec ceux du Céleste-Empire, et l’Europe connut à cette époque, et par ces communications, la boussole, l’imprimerie et la poudre de guerre[1]. Je supprime de curieux détails sur ces puissans dominateurs de l’Asie centrale, qui, dans l’orgueil de leur empire, avaient l’insolence de faire offrir au roi de France la charge de grand-fauconnier, et ne lui écrivaient que des lettres longues au plus de un ou deux pieds, tandis que, quand leur empire se

  1. Voyez là-dessus les mémoires de la Société Asiatique.