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Gioberti et de M. Ranalli, c’est un esprit inné de division que tout Italien, semble-t-il, apporte fatalement avec lui en naissant. Cet esprit singulier, que l’auteur du Rinnovamento et celui des Istorie décrivent, chacun à sa manière, avec une rare vérité de peinture, a pour effet d’inspirer aux Italiens comme une horreur invincible de s’entendre entre eux, qui fait le plus inattendu et le plus inexplicable des contrastes avec les vœux séculaires d’union dont ne cesse de retentir la péninsule. D’où vient cette maladie bizarre qui semble avoir passé dans le sang de l’Italie et lui être devenue en quelque façon congéniale ? sous quelles formes se révèle-t-elle, et dans quel milieu vicié de préjugés et de passions trouve-t-elle l’aliment de chaque jour qui depuis si longtemps la perpétue ? C’est ce qu’à l’aide des dépositions peu suspectes de l’abbé Gioberti et de M. Ranalli il convient d’examiner.

Ce n’est pas d’hier que ce funeste esprit de division travaille la péninsule et morcelle la race, pourtant si homogène, qui l’habite, non pas seulement en dix états, mais, ce qui est beaucoup plus grave, en vingt partis, tous hostiles les uns aux autres. L’abbé Gioberti fait remonter la première apparition historique de cet esprit à l’origine des fameuses factions des guelfes et des gibelins, dans les dernières années du XIe siècle. Si ancienne que soit déjà cette date, on peut, sans rien exagérer, la reculer plus haut encore : à quelque époque de l’histoire de l’Italie qu’on se reporte en effet à partir de la chute de l’empire romain, on la trouve toujours divisée, et même se complaisant dans la division. Les Barbares au Ve siècle commencent le morcellement, qui va croissant pendant les trois ou quatre cents ans que durent leurs invasions successives. Alors apparaissent les diverses républiques italiennes, sortant l’une après l’autre de ce chaos de barbarie, Amalfi, Gênes, Florence, Venise ; mais ces républiques, toutes voisines qu’elles soient, et bien qu’unies par les liens les plus puissans de la race, de la religion, de la langue, du commerce, entrent, à peine nées, en hostilité continuelle les unes avec les autres. À la fin du XIe siècle, antiquité dont se contente très modestement, comme on voit, l’abbé Gioberti, éclate entre Henri IV et Grégoire VII la fameuse querelle du sacerdoce et de l’empire. Qu’arrive-t-il ? Toute l’Italie va-t-elle se réunir soit sous l’un, soit sous l’autre de ces chefs, et constituer sa nationalité ? Elle s’en garde bien. Travaillée par un esprit municipal qui semble chez elle comme la forme civilisée de l’esprit de clan des sauvages qui au Ve siècle l’avaient envahie et repeuplée, elle se divise, qui pour le pape, qui pour l’empereur. Alors paraissent les gibelins et les guelfes, factions très curieuses à étudier aujourd’hui même encore dans leur esprit, le même exactement que celui des partis qui, sous des noms nouveaux, morcellent et éner-