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peuples barbares que la république avait contenue, dont César avait rejeté l’avant-garde au-delà du Rhin, qui avait épouvanté Auguste pour la sécurité de l’Italie, cette armée gronde au loin, de jour en jour plus menaçante. Le Batave Civilis put croire un moment qu’il allait régner sur la Germanie et sur la Gaule. La fortune de Rome, plus que la discipline et le courage de ses légions dégénérées, on le voit à chaque page dans Tacite, devait l’emporter encore. Plus tard quelques princes admirables et guerriers, comme Trajan et Marc-Aurèle, repousseront les Barbares au-delà du Danube, et les arrêteront pour un temps ; mais quand tout dépend d’un coup de dé, on ne saurait gagner toujours, et c’était un coup de dé qui donnait les bons empereurs. Après eux, l’envahissement et le déchirement recommencèrent. Une société qui ne reposait point sur elle-même, mais sur les caprices d’un chef élu par le caprice d’une armée, s’affaissait inévitablement, et, sous le double poids des divisions intestines et des agressions extérieures, devait finir, en s’aplatissant toujours, par être écrasée tout à fait.

La famille des Flaviens donne le premier exemple d’une succession dynastique régulière pendant trois règnes ; mais l’hérédité, passagèrement introduite dans l’empire romain, ne lui porta presque jamais bonheur. Marc-Aurèle fut père de Commode, Septime Sévère de Caracalla. De même Vespasien eut Domitien pour fils. Quant à Titus, dont le règne si court fut salué avec un enthousiasme qui était surtout de l’espérance, j’y reviendrai.

Vespasien est un personnage. Il a de l’activité, de l’énergie, de l’habileté, de la modération. Avec lui, le bon sens arrive au trône. Il eût été, dit Tacite, l’égal des anciens généraux de la république, sauf l’avarice. Son avarice en effet fut révoltante, et on peut le dire quand on songe aux impôts qu’il imagina. Un jour il prit le pot-de-vin donné à l’un de ses serviteurs pour un emploi qui devait être accordé à la recommandation de celui-ci ; il en partagea un autre avec son cocher. La détresse des finances de l’état, par laquelle on a cherché à justifier l’avarice de Vespasien, n’était là pour rien. C’était une manie. La seule excuse de cet amour de l’argent, c’est que sa famille était une famille de finance ; son grand-père avait été percepteur, son père receveur des contributions et usurier, car l’avènement des Flaviens à l’empire est l’avènement de ce que nous appellerions la bourgeoisie. Jusqu’à elle les empereurs étaient ou avaient au moins la prétention d’être de race illustre. Pour Vespasien, il était fort exempt de toute vanité de ce genre, et riait beaucoup de ceux qui voulaient le faire descendre d’un compagnon d’Hercule. Vespasien fut, si j’osais employer ce mot dans son acception moderne, un empereur bourgeois ; il conserva toujours des goûts simples, se dé-