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Rembrandt[1]. Que l’Espagne, la France et l’Allemagne tiennent dans l’histoire de la peinture une place considérable, personne ne pense à le nier : Murillo et Velasquez, Albert Durer et Holbein, Nicolas Poussin et Claude Gelée ont laissé des traces glorieuses de leur passage ; mais il n’y a dans le talent de ces artistes éminens rien qui les désigne à l’attention de la postérité comme inventeurs d’un procédé nouveau pour l’expression de la beauté par la couleur. Les puristes qui mettent la sévérité des lignes au-dessus de toutes les autres conditions de la peinture pourront s’étonner de voir Rubens et Rembrandt figurer dans l’heptarchie. Que la Toscane, patrie de Léonard et de Michel-Ange, réclame, contre le rang attribué à ces deux noms et s’en afflige comme d’une impiété, il n’y a là rien qui doive nous surprendre. Malgré notre profond respect pour l’orgueil national, nous devons répudier son témoignage toutes les fois qu’il s’agit de résoudre une question qui embrasse dans ses termes toutes les nations de l’Europe. En pareil cas, la bienveillance mènerait à l’injustice.

La Toscane s’est éprise de la forme. Léonard et Michel-Ange l’ont exprimée diversement. Partis du même point, pourvus tous deux d’une science prodigieuse, ils n’ont pas envisagé la nature sous le même aspect, et le caractère de leurs conceptions s’est manifesté dans leurs œuvres. Léonard, à l’exemple des Grecs, ne séparait pas la vérité de la beauté. Il savait le nombre et la forme des muscles enveloppés par la peau ; mais il ne tenait pas à montrer ce qu’il savait, ou du moins il le montrait avec discrétion. Il évitait l’ostentation comme un danger, et la postérité lui a donné raison. En s’appliquant obstinément à prouver toute l’étendue de son savoir, il n’aurait jamais réussi à créer les têtes que nous admirons comme les types de la grâce la plus exquise. Michel-Ange, aussi habile et plus ardent que Léonard, a traité la figure humaine avec plus d’énergie, avec moins de prudence. Il n’a voulu rien omettre, et la forme telle qu’il la conçoit, telle qu’il l’exprime, bien que vraie dans le sens rigoureux du mot, n’est pas toujours belle. Cependant il convient d’établir une distinction dans les œuvres de Michel-Ange. Si dans le Jugement dernier la forme humaine est exprimée avec une vérité qui touche à l’ostentation, il la représente sous un autre aspect dans la voûte de la chapelle sixtine. Il me suffit de citer la Naissance d’Eve, dont la grâce n’a jamais été surpassée par aucun maître. L’ensemble de ses œuvres justifie néanmoins le reproche que j’ai déjà mentionné.

Raphaël, moins savant que Léonard et Michel-Ange, est demeuré

  1. Voyez sur Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël, Rubens, Rembrandt, le Corrège, les livraisons du 1er septembre 1850, du 1er février 1834, du 1er janvier 1848, du 15 octobre 1854, du 15 juillet 1853, et du 15 décembre 1854.