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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/487

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dans la mémoire de l’Europe entière le prince de la peinture. Assez vrai pour ne soulever aucune objection, assez discret pour n’exciter aucune surprise chez les spectateurs ignorans, subordonnant toujours la connaissance de la forme à l’expression de la grandeur ou de la grâce, il obtient à bon droit l’approbation des hommes du métier, et ceux qui n’ont pas étudié les détails de la forme humaine l’admirent sans restriction. Par sa fécondité, par la variété de ses inventions, il justifie sa popularité. Si la Cène de Sainte-Marie-des-Grâces, si la voûte de la chapelle Sixtine dominent par le savoir les chambres du Vatican, tout homme qui aime sincèrement l’expression de la beauté doit accepter avec déférence l’arrêt de la postérité, et reconnaître dans Raphaël une des natures les plus excellentes et les plus richement douées dont l’histoire, fasse mention. S’il n’est pas aussi près de la vérité que Léonard et Michel-Ange, il n’oublie jamais l’harmonie linéaire, et cette constante préoccupation le place au premier rang des maîtres italiens.

Titien et Allegri, plus connu sous le nom de Corrège, viennent immédiatement après les maîtres que j’ai tâché de caractériser. La parenté du Corrège et de Léonard n’est douteuse pour personne. Pour la contester, il faut ignorer l’histoire de la peinture, et n’avoir jamais vu les coupoles de Parme. Sans sortir de Paris, on peut s’assurer de cette parenté. Le Mariage mystique de sainte Catherine suffit à démontrer ce que j’avance. Quant aux hardiesses d’Allegri, où l’on a voulu voir l’imitation du Jugement dernier, il est aujourd’hui démontré qu’elles sont bien siennes, et n’ont rien à démêler avec l’œuvre du grand Florentin. Allegri n’a jamais visité Rome. Tout ce qu’il a osé, il l’a osé par lui-même, sans modèle et sans conseils. Par l’étude simultanée de la nature, et de l’art antique, il était arrivé à concevoir ce que Michel-Ange avait conçu. Alors même qu’on prouverait qu’Allegri a fait le voyage de Rome, voyage dont personne jusqu’à présent n’a su trouver la trace, il faudrait encore tenir compte des dates, et se rappeler que les coupoles de Parme ont été achevées plusieurs années avant le Jugement dernier. Cet argument chronologique me dispense de tout autre argument. Dès que le rapprochement des dates démontre que l’imitation est impossible, il serait superflu de prouver que l’imitation est un fait imaginaire.

L’école de Venise, dont je n’ai pas encore parlé, est représentée par les noms glorieux de Giorgione, de Titien, de Paul Véronèse. Cependant la postérité a fait un choix, et son choix est tombé sur Titien. Si, dans quelques parties purement techniques, Paul Véronèse et Giorgione l’emportent sur Titien, la préférence accordée à ce dernier n’en est pas moins pleinement justifiée, et c’est de lui que je veux m’occuper aujourd’hui.