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docteur protestant put compter sur les intrigues des princes et sur la sédition des peuples. Par ce moyen, la réforme devint, presque à son apparition, non-seulement une doctrine religieuse, mais une institution politique. L’église réformée obtint rapidement ce grand avantage que l’église romaine avait mis des siècles à conquérir, et qu’elle avait conquis par des apparitions historiques extraordinaires, par la conversion d’un Constantin, par l’épée d’un Charlemagne, par les foudres d’un Grégoire VII. Ce fut là le triomphe véritable de la réforme sur la renaissance ; c’est par là qu’elle put durer d’une vie matérielle ; c’est par là aussi, si l’on y regardait de près, qu’elle est inférieure à la renaissance et plus limitée.

M. Michelet inclinerait volontiers à ne voir dans la réforme qu’un grand mouvement philosophique sous une forme chrétienne. Il salue en elle l’apparition des libertés de l’âme, des garanties politiques, en un mot, des principes de 89. Nous croyons qu’il y a là une erreur : l’historien voit plutôt ce mouvement dans ses conséquences que dans son essence. La réforme ne fut ni un mouvement libéral ni un mouvement philosophique, ce fut un mouvement chrétien. Elle se souciait surtout de Dieu, et sa seule haine politique, celle de la cour de Rome, est encore à demi religieuse. Les protestans demandaient le christianisme de l’Évangile et non pas celui de la cour de Rome ; voilà, au fond, à quoi se bornaient primitivement toutes leurs réclamations. Parce qu’elle a engendré ou plutôt rejoint, par une suite d’évolutions singulières, les principes politiques les plus hardis, parce que partout où elle s’est établie, la liberté civile s’est établie avec elle, ce n’est point une raison pour ne pas la voir telle qu’elle fût à l’origine, dans la pensée de ses fondateurs et dans les instincts de ses fidèles. Telles sont les singularités de la logique secrète qui régit les destinées humaines, que les doctrines produisent les résultats les plus opposés à la pensée de leurs auteurs. L’histoire offre mille exemples de ce phénomène ; Locke était un excellent protestant, il suffit de lire la préface de son fameux livre pour voir qu’il croyait sincèrement travailler à la plus grande gloire de l’Évangile, et pourtant il écrit le traité métaphysique d’où est sorti le XVIIIe siècle tout entier. La révolution française a débuté par faire appel à la liberté, et s’est attaqué à la monarchie : son résultat le plus clair jusqu’à ce jour a été de transformer précisément ce principe monarchique et de donner à l’autorité plus de moyens d’action qu’elle n’en eut jamais, sous l’ancien régime. C’est pour la même raison que les descendans de Luther et de Calvin, qui étaient loin d’être tolérans et libéraux comme nous l’entendons aujourd’hui, et qui auraient fait de grand cœur rouer et brûler leurs petits-fils, sont arrivés, sous les nécessités de cette logique secrète, à établir la liberté et la tolérance. Oui, la réforme fut un grand mouvement