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accompagné en accords plaqués, formule d’accompagnement de guitare dont M. Verdi ne peut se dépêtrer, et pour cause, ce mouvement moderato, sans avoir rien de saillant, achève de compléter le duo, qui est en situation. Un autre, duo pour soprano et ténor, entre le duc de Mantouùe, qui, sous un nom inconnu, s’est introduit nuitamment dans la maison de Rigoletto, et sa fille Gilda, succède aux duos précédens. Le premier mouvement n’est qu’un récit tourmenté qui rend assez bien la surprise de Gilda et la fausse tendresse de son séducteur. L’andante, qui forme la seconde partie du morceau, est à trois-huit, rhythme qu’affectionne beaucoup M. Verdi, car presque toute la partition de Rigoletto est écrite dans ce mouvement.

È il sol dell’ anima
La vita è amore, etc.

Ces paroles ont inspiré au compositeur un chant heureux, plein de jeunesse et de passion, que M. Mario rend à merveille, surtout le passage qui précède immédiatement la réponse de Gilda, qui est aussi remplie d’élan, et qui exprime avec délicatesse le délicieux abandon d’un cœur virginal. L’accompagnement de cet andante est ingénieux et plus varié que d’ordinaire. L’allegro : Addio, addio, speranza ed anima, nous plaît moins, mais il est en situation, et forme un contraste nécessaire avec le chant suave qui précède. L’air de Gilda qui vient après est fort difficile à chanter, et c’est là son principal mérite. Les courtisans du duc de Mantoue ont résolu de se venger des railleries insolentes du bouffon Rigoletto ; ils se réunissent devant la porte de sa maison pendant la nuit. Rigoletto survient, comme s’il était averti par son cœur paternel qu’il se trame quelque complot infâme contre l’honneur de sa fille chérie. Cette scène donne lieu à un chœur assez original : Zitti, zitti, moviamo vendetta, qui termine le second acte.

Le troisième nous introduit dans un salon du palais ducal. Le prince se rappelle avec bonheur son entrevue avec Gilda, et il exprime son ravissement en chantant un air que nous mentionnons seulement pour ne rien omettre. Surviennent les courtisans qui racontent au duc comment ils ont enlevé à Rigoletto une jeune femme qu’ils croient être sa maîtresse. Après ce chœur de voix d’hommes presque toujours à l’unisson, mais très incidente de rhythme, nous arrivons à la grande scène où Rigoletto, ayant connaissance de l’enlèvement de sa fille Gilda, cherche à deviner dans quel lieu les suborneurs ont pu cacher son cher trésor. Cette situation éminemment dramatique, où Rigoletto dérobe aux yeux des lâches courtisans sa douleur profonde sous le ricanement hébété d’un bouffon, est vigoureusement rendue, particulièrement l’indignation du pauvre père désespéré :

Cortigiani, vil razza dannata,
Per quai prezzo vendeste il mio bene !

Cela forme un récit plein d’agitation fiévreuse que M. Corsi exprime avec talent, mais non pas avec la puissance et l’énergie qu’il faudrait. Dans une matinée musicale que M. Duprez a donnée sur le théâtre qu’il a fait construire dans sa maison pour aider à l’éducation dramatique de ses nombreux élèves, nous avons entendu le grand artiste chanter et jouer la scène que nous venons d’analyser avec une supériorité d’accent qu’aucun virtuose ne saurait