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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/773

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nos jours sous une autre forme. Pendant la saison de Rome, une foule élégante et désœuvrée va porter là sa curiosité frivole, son admiration de commande et ses phrases apprises dans les livres. Certains soirs, quand le temps est beau et que la lune éclaire bien le Colisée, il ressemble tout à fait à un salon, et il y a presque autant de voitures à son entrée qu’à la porte de l’Opéra. Le jour, autre inconvénient, on a placé tout proche l’école de tambour. Du temps de Sénèque, on essayait là des flûtes : il affirme que ce bruit ne troublait point ses réflexions ; mais je ne sais si elles auraient été à l’épreuve des tambours. Les tambours passeront ; ce qui ne passera point, c’est le luxe de réparations par lequel on ôte au Colisée tout son caractère. Hors ce qui était nécessaire pour l’empêcher de tomber, je désapprouve toutes ces constructions modernes qui font tache sur l’antique et le déparent. Vraiment, en procédant ainsi, on semble être de l’avis du savant et spirituel, mais peu poétique président De Brosses, qui aurait voulu qu’on abattit une moitié du Colisée pour restaurer l’autre ; « car, disait-il, il vaudrait mieux avoir une moitié d’amphithéâtre en bon état qu’un amphithéâtre entier en mines. » Ceux qui trouvent le côté délabré le plus pittoresque ne peuvent être de l’avis de l’aimable président, car ils pensent que le plus grand mérite d’une ruine est de ressembler à une ruine.

On a dépouillé les murs à demi écroulés du Colisée des plantes et des arbustes qui en accompagnaient si bien la vieillesse. En revanche, on vient de planter des arbres le long du Forum pour masquer autant que possible le grand débris. Jusqu’ici ce sont des manches à balai entourés d’épines qui ne font que couper désagréablement la vue ; s’ils grandissent, on sera parvenu à la gâter tout à fait. Espérons qu’un jour de bon sens on se ravisera, et que l’on en fera des fagots.

Les étrangers se donnent parfois l’amusement d’éclairer le Colisée avec des feux de Bengale. Cela ressemble un peu trop à un finale de mélodrame, et on peut préférer comme illumination un radieux soleil ou les douces lueurs de la lune. Cependant j’avoue que la première fois que le Colisée m’apparut ainsi, embrasé de feux rougeâtres, son histoire me revint vivement à la pensée. Je trouvais qu’il avait en ce moment sa vraie couleur, la couleur du sang.


J.-J. AMPERE.