Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Signora, Lorenzo est arrêté, et l’on croit qu’il est enfermé sous les plombs du palais ducal !

À cette triste nouvelle, que son cœur pressentait depuis longtemps, Beata se leva brusquement, prit son masque, et quitta le casino sans prendre congé de la compagnie. Le sénateur Zeno et les Grimani se retirèrent aussi peu d’instans après en laissant les autres convives fort préoccupés de ce qui venait de se passer.

Dès le lendemain matin, Beata se rendit chez le chevalier Grimani. Elle lui raconta sa vie, son amour, son désespoir, en lui manifestant sa ferme résolution de ne point contracter une alliance dont elle ne se croyait pas digne. — Dieu a disposé de mon cœur, lui dit-elle avec une énergie qui contrastait singulièrement avec sa réserve ordinaire, et je vous estime trop, chevalier, pour vous donner les restes d’une existence vouée au malheur. Non-seulement, ajouta-t-elle, je viens vous conjurer de m’aider à rompre le nœud qui devait nous unir, mais j’attends plus encore de votre générosité : je vous demande à genoux d’employer votre crédit et celui de votre puissante famille pour faire mettre en liberté le chevalier Sarti. Je vous aurai une reconnaissance éternelle de cet acte d’abnégation, qui n’est pas au-dessus de l’idée que je me suis faite de votre caractère.

Vaincu, touché par les larmes de Beata et par l’expression d’un sentiment si profond, dont il apprenait l’existence pour la première fois, le chevalier Grimani se montra digne de la confiance qu’il avait inspirée. Il promit son concours à tout ce que désirait la noble fille du sénateur Zeno. — Quelque pénible que soit le sacrifice que vous exigez, de moi, signora, répondit le chevalier Grimani avec une émotion qu’il ne chercha point à contenir, j’obéirai à vos ordres, comme j’eusse été heureux de le faire toute ma vie. Malheureusement les obstacles que rencontrera votre désir dans la volonté de votre père et du mien ne sont pas les seuls qu’il faille prévoir. J’ignore quelle est l’accusation portée contre le chevalier Sarti, et, dans les circonstances graves où se trouvera république, il se peut que la seigneurie soit peu accessible à la clémence.

— Sauvez-le ! sauvez-le ! s’écria avec exaltation la gentildonna, si vous avez encore quelque pitié pour une femme qui vous fut destinée, et qui ne peut vous donner, hélas ! que son estime et son amitié.

Et tendant au chevalier une main qu’il baisa avec respect, la fille du sénateur se retira.


PAUL SCUDO.