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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/468

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jugé comme d’ordinaire on ne juge que les morts. Le livre des Prisons, son meilleur, j’allais dire son unique titre de gloire, mérite sans doute à plusieurs égards la faveur dont il est encore aujourd’hui l’objet : la simplicité attachante du récit nous captive, et la mansuétude évangélique de l’auteur ajoute l’attendrissement à l’intérêt ; mais quiconque, jugeant avec sa raison, résiste aux entraînemens de son cœur éprouve à cette lecture je ne sais quel malaise indéfinissable, et se sent, après l’avoir achevée, moins fort, moins homme qu’auparavant. On n’est vraiment homme en effet qu’à la condition de concevoir pour le mal une de ces haines vigoureuses dont parle Molière, et qui sont le commencement du bien, quand elles n’en sont pas la conséquence. Rien de mieux que de se résigner au mal, s’il vient d’une cause supérieure, immuable, éternelle : c’est pour ce cas, et pour ce cas seulement, que la religion chrétienne a fait de la résignation une vertu. Courber la tête devant l’injustice, se soumettre à la volonté discutable de nos pareils, de ceux qui nous oppriment par le droit du plus fort, ce ne saurait être ni une vertu ni un devoir. Notre devoir à tous, c’est de renouveler, en faveur du bien, de l’indépendance, de la liberté, l’immortelle protestation que Galilée faisait entendre au nom du vrai : E pur si muove. La charité chrétienne ne prescrivait pas à Silvio d’abaisser le caractère italien aux pieds de l’Autriche. C’est ce qu’il a fait pourtant, et il n’y aurait encore que demi-mal, si le succès de son livre n’avait tenté les imitateurs : nous avons vu en France un de ses compagnons de captivité, M. Andryane, délayer sa touchante élégie en quatre volumes mal écrits, partout empreints d’une sentimentalité de mauvais goût et d’une résignation affectée qui décèlent le copiste maladroit.

Grâce à Dieu, cette école a fait son temps. Aujourd’hui, si un ancien prisonnier de l’Autriche prend la parole, ce n’est plus pour parler avec tendresse de ses geôliers et nous donner des impressions de cachot semblables à celles que peut éprouver un homme libre dans un voyage autour de sa chambre. Les nouveaux écrivains ne s’interdisent plus les malédictions et les imprécations, même ils en sont peut-être trop prodigues : réaction naturelle, inévitable contre la résignation énervante de l’école de Silvio. Deux ouvrages surtout, bien que d’une médiocre étendue et d’une valeur littéraire très contestable, nous paraissent devoir être signalés ici comme caractérisant cette réaction. L’un nous montre l’auteur retrouvant sa colère des anciens jours pour raconter des infortunes déjà vieilles de trente ans : le temps ne lui a point apporté l’oubli ; sa rancune est implacable comme son souvenir. L’autre nous offre le spectacle instructif d’un homme qui trouve jusqu’au fond d’une prison les moyens d’exercer son activité dévorante, qui devient libre parce qu’il a voulu le devenir, et qui rencontre pour complice de sa fuite tout un peuple sujet de ses ennemis.

Je dirai peu de chose de M. George Pallavicino et des cent pages qu’il vient de détacher de ses mémoires, encore inédits. Comme citoyen, il a le mérite de ne point trembler, ainsi que Pellico, au souvenir des cachots du Spielberg, où ils ont souffert simultanément ; loin de se retirer de la politique, il y a pris depuis sa délivrance, il y prend encore aujourd’hui une part active. Député libéral au parlement de Turin, il est au premier rang des ennemis de l’Autriche, il propage avec ardeur les idées récemment émises par M. Manin, qui propose, comme on sait, de réunir tous les états de la