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Powhattan, et dans laquelle il rappelait avec détail les divers argumens qui devaient déterminer le gouvernement japonais à suivre l’exemple de la Chine et à conclure un traité avec les États-Unis. « Les Chinois, disait-il, ont retiré de grands avantages de ce traité… Près de trente mille sujets de l’empereur ont visité l’Amérique ; ils y ont été bien accueillis, et nos lois leur ont permis de se livrer à toute espèce de trafic. Ils ont pu ériger des temples et pratiquer librement leur religion. Tous ont gagné de l’argent, et quelques-uns, après une courte absence, sont retournés en Chine avec des capitaux variant de 300 à 10,000 taëls[1]… Je n’oserais, en vérité, retourner aux États-Unis sans y apporter des réponses satisfaisantes sur toutes les propositions du président, et je dois rester ici jusqu’à ce que ces réponses me soient parvenues. » Cette double menace d’un séjour prolongé dans les eaux du Japon et de l’arrivée d’une seconde escadre était comme une double épée de Damoclès suspendue sur la tête des négociateurs japonais, et le commodore savait bien qu’il ne pouvait employer une meilleure arme pour amener à composition le cabinet de Yédo.

La conférence se prolongeait, et le commodore venait d’y introduire un nouveau sujet de discussion en demandant la faculté de faire ensevelir à terre un soldat de marine qui était mort l’avant-veille. Il faut se rappeler que l’on est au Japon pour s’expliquer qu’une pareille demande puisse rencontrer la moindre difficulté ; mais au Japon rien n’est simple quand il s’agit des étrangers. La chose parut si grave que les plénipotentiaires exprimèrent le désir d’en conférer mûrement avant de donner une réponse définitive, et ils se retirèrent dans une autre pièce, laissant le commodore et ses officiers en tête-à-tête avec une légère collation qui avait été préparée. Peu d’instans après, deux des plénipotentiaires reparurent et se mirent à table. Leur bonne humeur permettait de compter sur une réponse favorable. — A la reprise de la séance, le prince Hayaschi fit remettre à l’amiral une note écrite dans laquelle il était dit que le corps du défunt pouvait être envoyé d’abord à Uraga, d’où il serait ultérieurement transporté, sur une jonque japonaise, à Nagasaki, et enseveli dans un temple disposé à cet effet pour les étrangers. Le commodore n’accepta point cette combinaison : il insista pour que l’enterrement eût lieu dans une petite île voisine de son mouillage, faisant savoir qu’en cas de refus il passerait outre. Le débat fut très long, et les plénipotentiaires ne concédèrent que très difficilement un coin de terre situé près d’un temple de Yoku-hama, en vue de l’escadre ; encore exigèrent-ils qu’un officier japonais assistât

  1. Le taël équivaut à 7 francs environ.