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croissent pas par une spéculation quelconque restent les mêmes. De là des souffrances qui, pour n’être point toujours visibles, ne sont pas moins réelles, et qui peuvent même, en certains cas, devenir une source de démoralisation. Bien des problèmes s’agitent dans notre temps ; il n’en est pas de plus périlleux que cette question, qui apparaît à travers des chiffres, et éclaire tout un côté de la situation économique et morale des sociétés actuelles.

Dans cette vie sans secousses et sans incidens d’un pays où tout porte la marque de transformations aussi profondes que multipliées, une des choses les plus invariables et les plus vivaces, c’est peut-être une institution qui n’a par elle-même aucun caractère politique, c’est l’Académie française, qui rappelait l’autre jour encore les regards sur elle par la réception de M. de Falloux. Un écrivain nouveau, M. Paul Mesnard, retraçait il y a peu de temps l’Histoire de l’Académie française depuis sa fondation jusqu’à 1830. C’est là le passé de cette assemblée littéraire créée par Richelieu, et dont Pellisson a pu dire que « sa fortune suivrait vraisemblablement celle de l’état et serait bonne ou mauvaise, selon les rois et les ministres qu’il plairait à Dieu de nous donner. » Dans le cours de cette longue carrière, l’Académie a pu avoir ses faiblesses et ses épreuves ; on ne peut dire qu’elle ait été infidèle à son rôle. Critiquée, raillée, poursuivie souvent, elle a duré et elle dure encore parce qu’elle est d’accord avec un certain instinct national, parce qu’elle est l’expression la plus exacte de l’esprit littéraire, non dans ce qu’il a d’étroit et de purement professionnel pour ainsi dire, mais dans ce qu’il a de supérieur et d’universel, parce qu’en un mot elle se lie à des traditions de goût et de sociabilité cultivée particulières à la France. Cela est si vrai que lorsqu’une pensée de la révolution la confondit, pour la mieux annuler, dans cette vaste création de l’Institut, dont la grandeur était un peu abstraite, elle ne disparut qu’un moment, et de tant de choses évanouies c’est peut-être la seule dont la résurrection ait été presque complète. Bientôt en effet elle reparaît avec ses anciens membres encore survivans, avec ses statuts, avec ses usages, avec son nom même ; elle est plus forte que la loi, qui ne la reconnaissait pas encore au temps de l’empire sous son nom d’Académie française, et depuis cette époque elle n’a plus été sérieusement menacée.

C’est ce qui fait que ni les élections académiques, ni les séances de réception n’ont un intérêt ordinaire. Par ses choix, l’Académie a le moyen de maintenir sa dignité et son indépendance. Par ses réceptions aussi, elle se montre telle qu’elle est réellement, un foyer d’élite, un lieu choisi où se rencontrent sans distinction des écrivains, des orateurs, des hommes d’état, des personnalités sociales éminentes, ce qui ne veut point dire que l’Académie doive s’ouvrir à tous ceux qui se disent hommes d’état, à tous les hommes du monde qui ont eu la fantaisie de faire un livre, ou même à tous les écrivains qui croient avoir des titres parce qu’ils ont eu un peu de succès, chose fort différente. Ces pensées pouvaient revenir naturellement à l’esprit dans ces derniers jours en présence de l’élection qui s’est terminée aujourd’hui même par la nomination de M. Emile Augier, comme aussi en présence de la réception de M. de Falloux. La séance de réception du nouvel académicien a-t-elle tenu tout ce qu’elle promettait ? Elle a eu de l’intérêt, sans nul doute ; peut-être aussi la curiosité avait-elle été trop éveillée pour n’être pas