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dans l’avenue. — Nous n’aurons pas, dit en approchant M. C…, le bon docteur ; il m’écrit qu’il est enchaîné à Saint-Cloud, et qu’il n’espère de vacances que durant la prochaine expédition d’Allemagne. Ce pauvre Lancival ne peut venir non plus, et j’en suis fâché pour lui et à cause du maréchal, qui aime les gens d’esprit ; mais voici dix heures : allons sur la route au-devant de notre héros.

Nous nous hâtons en effet, et bientôt nous rencontrons en habits de fête tout le village et deux villages voisins, le curé de Montgermon en tête, pour saluer au passage le duc de Montebello. Même appareil et plus grande foule à l’entrée de Pont-Thierry.

Bientôt une voiture élégante paraît et s’arrête, au milieu des acclamations : c’était le comte Gueheneuc, qui descend pour nous joindre, embrasse son ami, et nous dit : « J’ai devancé le maréchal. Je ne pouvais l’arracher ce matin d’auprès de ma fille et de ses petits enfans. Il va nous arriver à toute bride. Comptons sur lui, et marchons. »

Pendant que sur cette parole on revenait à petits pas vers le château, tournant à chaque moment la tête, Aréna distingue un nuage de poussière, et s’écrie joyeusement : « Voici le maréchal. »

Quelques instans après, à travers de longs cris : vive le duc de Montebello ! nous entendons les pas précipités des chevaux sur le pavé de la route, et le maréchal, que suivaient deux jeunes officiers, s’arrête devant notre petit groupe, au détour du chemin vers Jonville, et s’élance de cheval, en touchant la main de son beau-père.

Le maréchal, avec ses cheveux courts et noirs, ses yeux d’une vivacité singulière, son teint bruni par le hâle, son agilité gracieuse, son visage souriant, avait, même pour des élèves de lycée, l’air d’un homme de trente ans. « Comme il est jeune, me dit tout bas Aréna, et déjà maréchal de l’empire ! et tant de batailles, et Lisbonne et Saragosse ! O mon Dieu ! » Mais on ne songeait guère à ce que nous disions. Et le maréchal, passant sous son bras gauche la bride de son cheval, s’était mis tout simplement à marcher entre son hôte et son beau-père, adressant quelques mots aimables à M. Dupont de Nemours, à M. Garat, à M. Collot, et à tous les notables de la compagnie.

Pour ma part, j’écoutais, je dévorais des yeux cette scène si nouvelle pour moi. Chaque mot changeait une idée, un préjugé d’enfance. Ce soldat mal élevé, cet intrus dans les grandeurs, dont j’avais entendu parler, me semblait élégant et noble comme un chevalier du Tasse. Sa parole courte était haute et polie ; son langage étonnait par une sorte de dignité sans effort qui relevait les moindres choses, et plus encore par une bonté délicate que sa fierté même ne pouvait contenir. Quand M. C…, toujours impatient d’obliger, lui présenta le jeune Aréna, et lui dit quelques mots de son chagrin