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religion des membres de la haute cour. L’enveloppe portait le millésime de 1627, et le sceau de cire rouge apposé sur le pli était demeuré intact à travers les âges. Ainsi en est-il de mille autres actes enfouis dans ce chaos. La main qui les devait ouvrir se sera glacée avant d’avoir pu suffire à sa tâche, et les voilà condamnés à garder leur secret jusqu’au dernier jugement ! Lorsque Goethe arriva à Wetzlar, vingt mille causes, ni plus ni moins, étaient pendantes en cour d’appel, et chacun savait que le tribunal, en faisant toute diligence, n’en pouvait dépêcher que soixante par an. Soixante, quand il s’en présentait régulièrement plus du double ! Le spectacle d’une semblable confusion ne pouvait qu’inspirer une pauvre idée de la jurisprudence à l’esprit éminemment pratique et droit du jeune docteur Goethe.

J’ai dit ce qu’était la cour impériale. Un mot maintenant d’une autre institution du passé, qui jetait, vers cette période, son dernier éclat à Wetzlar, et qu’on appelait le Teutsche Haus. Personne n’ignore ce que fut au moyen âge l’ordre teutonique, et tous les esprits quelque peu familiers avec l’histoire d’Allemagne ont encore présens à l’idée ces terribles moines guerriers, à l’armure noire, au manteau blanc, qui, joignant à l’ardeur de prosélytisme du missionnaire l’indomptable valeur du héros, en vinrent à conquérir d’importans territoires et à se faire dans le monde une immense part d’influence. Malheureusement il en fut de cet ordre fameux comme de tant d’autres institutions. Dans son zèle pour la foi religieuse était sa principale force ; vinrent les succès, et la foi s’en alla. Avec l’accroissement des richesses et l’extension de la puissance, le mobile généreux disparut, la vraie gloire s’effaça. L’inévitable loi qui régit les grandeurs humaines atteignit cette corporation illustre, si bien qu’au moment dont nous parlons, les Teutsche Ritter en étaient logés à la même enseigne que les chevaliers de Malte. Néanmoins l’ordre possédait encore des biens considérables en diverses parties de l’Allemagne, et dans quelques villes existait une sorte de maison centrale pour l’administration des revenus et l’expédition générale des affaires de la communauté ; on l’appelait le Teutsche Haus. Il y avait à Wetzlar un de ces établissemens, et l’homme qui en exerçait la surintendance, le Amstmann, comme on disait alors, n’était autre qu’un certain M. Buff, personnage d’un attrait sans doute fort secondaire, quand on le considère en lui-même, mais qui avait pour fille l’aimable Charlotte, l’héroïne de cet épisode de la jeunesse de Goethe.

Le Teutsche Haus n’était cependant pas la seule église où survécussent, vers la fin du XVIIIe siècle, les anciennes pratiques de la chevalerie. Goethe, en arrivant à Wetzlar, y trouva une sorte de Table-Ronde très sérieusement constituée, et dont les principaux mem-