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vous recevrez quelque chose de nouveau. Ma princesse salue Charlotte. Pour le caractère, elle a beaucoup de finesse. Ma sœur prétend qu’elle ressemble beaucoup à son portrait. Si nous allions nous aimer, comme on dit que tous deux là-bas vous vous aimez ! Je l’appelle ma chère petite femme, et l’autre soir je l’ai gagnée dans une loterie. » Anna Sybille avait alors à peine quinze ans, et rien ne donne à penser que cette liaison ait été autre chose qu’une simple distraction.

Cependant le jour approchait où Charlotte allait se marier et quitter Weztlar. Goethe écrit aussitôt au frère de Charlotte pour le prier de lui donner de ses nouvelles au moins une fois par semaine, afin que ce triste départ ne rompe pas à tout jamais les relations formées au Teutsche Haus, puis il s’adresse à Kestner et lui demande à offrir l’anneau de mariage. « Je suis toujours à vous, mais, à dater de ce jour, je ne désire plus vous revoir, ni vous ni Charlotte. Son portrait disparaîtra de ma chambre pour n’y être réintégré qu’après ses premières couches, car alors d’autres temps commenceront, et si ce n’est pas elle que j’aimerai, ce sera ses enfans, toujours, à la vérité, un peu à cause d’elle. Libre donc à vous de me choisir pour parrain, et croyez, si c’est un fils, que mon esprit sera deux fois sur lui, et que les femmes qui ressembleront à sa mère seront capables de le rendre fou ! » Puis, dans sa lettre, il enferme ce billet pour Charlotte : « Que mon souvenir comme cet anneau soient constamment témoins de vos prospérités, chère Lotte ! Un jour, mais d’ici à bien longtemps, nous nous reverrons : vous, cette bague au doigt, et moi, comme toujours, votre… De quel prénom signer ? Je ne sais, mais vous me connaissez, et cela suffit. » Puis, le mariage une fois accompli : « Dieu vous garde, cher Kestner, pour m’avoir épargné cette épreuve ! J’avais choisi le vendredi saint pour faire un sépulcre où j’aurais mis la silhouette de Charlotte ; mais, hélas ! je ne puis m’en séparer : elle est là, elle y restera jusqu’à ce que je meure. Adieu ! Mes tendresses à votre cher ange et à Lenette aussi, qui est une autre Charlotte, et cela, pour votre plus grand bonheur à tous. Quant à moi, je m’avance dans le désert sans autre ombre que mes cheveux, sans autre source vive que mon propre sang. Je monte et vois au loin, comme dans un mirage, votre nef tranquille qui se balance au port, et dont les joyeuses banderoles me mettent la joie au cœur. » Ce n’était point tout : sa sœur Cornélie dut le quitter, elle aussi, pour se marier. On sait combien Goethe affectionnait cette grave personne, dont l’esprit ferme et pratique, le solide attachement ne lui firent jamais défaut dans les momens difficiles. Ce fut donc une épreuve de plus, à laquelle bientôt allait se joindre le départ de Merck, ce confident bourru, cet humoriste acariâtre dont on devait plus tard médire, et qu’en attendant, on aimait à voir inter-