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moi, car ma parole est depuis longtemps respectée. Quant à ceux qui ne goûtent l’histoire que sous la forme du roman, leur sympathie ne me flatterait pas, je n’accepterais pas leurs éloges, et je me sens incapable de rien faire pour les obtenir. » En se plaçant à ce point de vue, on arrive à trouver tout naturel le dédain de M. Poirson pour les artifices de la narration. Cependant il s’est laissé emporter trop loin, il a dépassé le but qu’il se proposait. S’il a cru réagir ainsi contre la frivolité des œuvres qui se donnent pour historiques, je ne puis que m’associer à cet excellent dessein; mais pour ruiner la popularité de ces œuvres, il aurait fallu présenter la science sous une forme qui n’effarouchât point la foule, et dans l’histoire du règne de Henri IV il n’y a pas une page qui ne soit l’expression austère des faits. Si M. Poirson a conçu l’espérance d’envoyer à l’oubli les livres qui jouissent aujourd’hui d’une renommée illégitime, il n’a pas pris le moyen le plus sûr de remplacer le roman par la vérité. Un peu plus de mouvement dans l’exposé des faits serait une excellente ruse de guerre. Les lecteurs qui manquent de courage pour suivre pendant un millier de pages le développement d’une pensée toujours grave s’instruiraient à leur insu, si l’auteur consentait à raconter ce qu’il sait, au lieu d’exposer les causes et les effets sans tenir compte de la force moyenne des intelligences. Ce serait, à mon avis, l’expédient le plus adroit, et les amis de la science ne pourraient trouver mauvais qu’on ornât la vérité pour la populariser. M. Poirson, en offrant au public le fruit de ses études, n’y a pas songé.

L’auteur a publié pour ses élèves un précis d’histoire de France qui s’arrête à l’avènement de Henri IV. Par ce livre, justement estimé comme ouvrage d’enseignement élémentaire, il s’est cru dispensé de rappeler les règnes des derniers Valois. Je pense pourtant qu’il eût fait une chose utile en réunissant dans une large introduction les événemens compris entre 1515 et 1589, car son histoire de Henri IV est destinée aux gens du monde aussi bien qu’aux érudits, et les gens du monde, qui ont quitté depuis longtemps les bancs du collège, ont oublié son précis. Le règne du premier Bourbon est difficile à comprendre pour ceux qui n’ont pas sous les yeux la conduite de François Ier, de Charles IX, de Henri III. Les dernières années du XVIe siècle et les dix premières années du XVIIe demeurent à peu près lettre close quand on ne connaît pas familièrement les rois dont je viens d’écrire les noms. L’historien a beau prodiguer les détails, reproduire sa pensée sous des formes nombreuses et variées; il n’est jamais compris qu’à demi de la plupart des lecteurs. La conduite de Henri IV, qui n’est pas irréprochable aux yeux mêmes de ses admirateurs, soulève des objections faciles à réfuter dès qu’on sait la conduite de ses prédécesseurs. Pour tout