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dire en un mot, M. Poirson a trop compté sur l’érudition et sur la mémoire de la génération à laquelle il s’adresse. C’est de sa part une courtoisie qui sera, je le crois du moins, payée d’ingratitude. Les persécutions de François Ier contre la réforme naissante, le massacre de la Saint-Barthélémy, l’organisation de la ligue, sont les protégomènes nécessaires de l’histoire de Henri IV. Bien des gens ont entendu parler des faits que je rappelle; mais pour bien comprendre en face de quels périls se trouvait le Béarnais le lendemain de son avènement, il faut quelque chose de plus qu’un vague souvenir. Le bûcher de Berquin, le meurtre de Coligny, la conspiration des Guises, marquent dans la défense de l’église romaine contre la réforme trois momens décisifs, et sans la connaissance complète de ces trois momens il est à peu près impossible de juger sainement les actions dont se compose le règne de Henri IV. M. Poirson n’avait qu’à détacher quelques pages de son précis, à les remanier, pour nous donner l’introduction que je regrette de ne pas trouver en tête de son livre. J’insiste d’autant plus volontiers sur ce point, que malgré les travaux récens publiés en France et en Allemagne, la réforme et la ligue ne sont pas encore entrées dans le domaine des connaissances populaires. Bien des esprits qui se croient éclairés ne voient dans la Saint-Barthélémy qu’un coup de tête, dans la révolte des Guises qu’une question politique. Et comment juger avec de telles données le règne de Henri IV? Les prolégomènes que je demande expliqueraient ce qui demeure obscur pour le plus grand nombre.

On sait aujourd’hui que le massacre de la Saint-Barthélémy n’est pas un coup de tête, que dans la conspiration des Guises contre la royauté la religion tenait autant de place que l’ambition politique. On a renoncé à ne voir dans François Ier qu’un protecteur dévoué de la science et des lettres. Les palais qu’il a construits, les statues dont il a orné ses jardins, ne suffisent pas pour caractériser son règne. Ce qu’il combattait dans la réforme, ce n’était pas seulement l’hérésie, mais bien aussi et surtout la liberté de penser. Il n’acceptait de la renaissance que le développement des arts; quant à la pensée, il n’en voulait pas. Il se posait comme le défenseur de l’église, et l’église acceptait avec empressement le secours de son épée; mais ce qu’il défendait, c’était son gouvernement. M. Poirson, qui, malgré sa prédilection pour la monarchie, pour la foi catholique, est animé de sentimens libéraux, n’aurait pas eu de peine à caractériser très nettement la conduite de François Ier. A l’égard de Charles IX, sa tâche eût été encore plus facile, car il n’y a pas de catholique sincère qui ne maudisse et ne flétrisse la Saint-Barthélémy. Tout homme qui se dit soumis à l’église romaine et ne voit dans la Saint-Barthélémy qu’une rigueur salutaire perd le droit d’accuser Dio-