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refusa de les entendre, et dans cette fatale entrevue d’Erfurth, où tant de fautes furent commises, les principautés danubiennes furent livrées à la Russie. Aujourd’hui, malgré ces tristes souvenirs, leur confiance reparaît, et nous espérons bien que la France ne manquera pas cette fois à sa mission. En dépit de la distance, ces précieux intérêts ont ému l’opinion. Déjà en 1845, dans un substantiel ouvrage intitulé la Romanie, un homme qui connaît bien ces contrées, M. Vaillant, a émis des idées très dignes d’attention sur le rôle possible des Moldo-Valaques; ces questions éveillent une sollicitude plus vive encore depuis les belles études de M. Edgar Quinet[1]. Nous voulons croire qu’une telle cause défendue ainsi ne sera plus abandonnée. La diplomatie française s’en occupe; le Moniteur a prononcé à ce sujet des paroles qui ont produit une impression très vive, et s’il était besoin de rappeler cette affaire à ceux qui peuvent la mener à bien, je leur signalerais les pages de M. Amédée Thierry sur les créations d’Héraclius. Ce grand homme était au VIIe siècle le défenseur du monde civilisé; il convient à la France de reprendre la même poli- tique pour écarter les mêmes périls.

Il est vrai qu’Héraclius pouvait créer la Servie, la Croatie, et jeter les fondemens de la Bulgarie, sans inquiéter les états à demi barbares de l’Europe : aujourd’hui la réunion des principautés danubiennes a rencontré dans la diplomatie de sérieux adversaires. Cette discussion ne peut que servir la cause roumaine; les argumens employés contre la Moldo-Valachie, bien que présentés avec une modération habile, n’ont pas affaibli nos convictions, et nous avons la confiance qu’aucun esprit impartial ne prendra le change. Si j’interroge sur ce point la presse européenne, je vois que la réunion des principautés a été surtout combattue par le cabinet de Vienne. La Gazette d’Augsbourg, qui défend avec talent la politique de l’Autriche, a publié sur cette question de remarquables articles manifestement écrits à l’adresse de la France. Quels sont les argumens de la feuille allemande? On peut les réduire à un seul : fortifier les principautés, c’est fortifier la Russie. Les éminens publicistes allemands ont mis et mettent encore une singulière insistance à développer cette thèse. La Russie seule, si on les en croit, profitera des changemens que réclament les Moldo-Valaques, car aucune puissance n’est en mesure de balancer l’influence moscovite sur le Danube, et tout ce qui sera fait à l’avantage des Roumains sera fait à l’avantage de leurs suzerains réels, qui ne siègent pas à Constantinople, mais à Saint-Pétersbourg. L’argument serait décisif, s’il n’était absolument contredit par le mouvement de renaissance nationale qui agite les contrées du Danube depuis le commencement

  1. Voyez, dans la Revue du 15 janvier et 1er mars 1856, les Roumains, par M. Quinet.