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dales et de leurs frères les Alains, celui qui leur infligea un si rude châtiment dans les champs de Tartesse, et couvrit de leurs cadavres les roches de Calpé. Mais, sans remonter aux anciennes déroutes, le pirate aurait-il oublié son désastre récent près d’Agrigente, quand Ricimer lui prouva qu’il était vraiment le petit-fils de ce roi goth qui ne vit jamais que le dos des Vandales? La victoire de Ricimer égale à nos yeux celle de Marcellus, à qui nous dûmes la Sicile...

« Oui, la crainte de Ricimer arrête tous ces Barbares, prêts à faire irruption sur nos frontières. Si l’Ostrogoth se contient encore en Pannonie, c’est qu’il le craint; si le Frank au courage farouche reste enchaîné au bord du Rhin, c’est qu’il le craint. Et quand l’ennemi perpétuel, le Vandale, et son compagnon l’Alain sont venus me piller, me déchirer jusque dans les entrailles, qui m’a vengée? C’est lui. Pourtant Ricimer n’est qu’un homme; seul, il peut retarder mes malheurs, il ne saurait les conjurer. Il nous faut un prince armé, qui ne commande pas la guerre, mais qui la fasse, qui marche lui-même devant ses étendards, et qui, nous rendant nos anciens droits, nous donne les flottes que nous n’avons plus depuis longtemps, et fasse régner notre pavillon où l’on ne connaît plus que celui des Barbares. »


Ce discours, placé dans la bouche de la déesse, contient un tableau exact de la situation de l’Occident. Le poète met à nu ce qu’il y a de plus sensible, de plus irritable dans la politique de ce temps, et il ne craint pas d’y toucher; chacune de ses paroles est un trait qui porte. Il proclame au nom de l’Italie ce qu’elle attend du nouveau prince; il lui enseigne son devoir, et ce devoir, c’est de régner en maître, de ne voir près de lui que des sujets, de restituer à l’empire ses armées qui ont cessé de lui appartenir, de ne point laisser à des mains étrangères le soin de porter l’aigle romaine devant l’ennemi. Adressés à l’empereur en présence de Ricimer, de tels conseils ne manquaient point de courage, quelles que fussent d’ailleurs les flatteries dont le poète savait les envelopper pour adoucir le dictateur. Que demandaient-ils en effet, sinon la fin de la dictature? Ce morceau nous signale encore un des dangers de cette immixtion de rois barbares aux affaires de l’empire, qu’ils prenaient insolemment pour champ clos dans leurs querelles. Enfin Rome y reçoit, pour sa dureté et son orgueil, des leçons d’une juste sévérité. « Consulte les temps, lui dit le poète, laisse là ton faste hors de saison; retiens les lambeaux de ton empire qui s’en va; retiens les deux moitiés du monde romain qui se séparent; sache te faire aimer! » C’était le cri de tout l’Occident.

Le dieu du Tibre va donc trouver le génie de la ville éternelle; la déesse Rome, dea Roma, reposait au milieu de ses vieux symboles, Mars, les jumeaux Romulus et Rémus, la louve Ilia; elle entend de la bouche du fleuve, son vassal, les conseils que lui adresse l’Italie. Son cœur s’émeut; couvrant d’un casque sa tête chargée de tours et