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fier les postes les plus élevés de l’administration à des fonctionnaires dont le seul mérite est d’avoir parcouru tous les échelons administratifs. Dégagé de cette obligation, le gouvernement pourrait appeler à lui des hommes qui se tiennent éloignés du service public, ou y végètent dans des postes obscurs. Leur nombre est encore, cela est vrai, peu considérable, mais il augmente chaque jour, et l’avenir de la Russie est entre leurs mains; ils forment sans contredit l’élite de la société russe. Le gouvernement trouverait dans leurs rangs des employés intègres, d’une capacité reconnue, et, ce qui lui serait encore plus utile, des conseillers sincères. Le respect que lui inspire la mémoire de Pierre le Grand ne devrait point l’arrêter. Si ce souverain a créé le tchine, il a su aussi s’en affranchir : ce n’est point au milieu d’une troupe de courtisans insatiables d’honneurs qu’il choisit les hommes qui illustrèrent son règne. D’ailleurs l’institution du tchine a fait son temps; elle était destinée à remplacer les distinctions honorifiques de la cour des tsars, à donner aux Russes le goût du service civil, et surtout à répandre dans l’administration l’esprit de discipline qui manquait à l’ancien régime. Ces divers résultats nous semblent pleinement acquis, personne en Russie ne songe sérieusement à y réclamer les privilèges des anciens boyards; l’état n’y manque point d’employés, et s’il est un reproche à faire aux nobles russes, ce n’est point assurément d’être frondeurs et insubordonnés.

Les réformes que nous venons d’indiquer intéressent bien autrement le repos de l’Europe occidentale que les fortifications de Cronstadt ou de Sébastopol. Les goûts belliqueux que l’on a reprochés au gouvernement des tsars ne sont réellement populaires que dans les classes supérieures de la société russe. De tous les Slaves, le paysan moscovite est celui dont le sang est resté le plus pur, et le Slave est essentiellement pacifique. L’intérêt général demanderait donc que le gouvernement russe levât au plus vite les entraves que la constitution du pays oppose à la création d’une classe moyenne, car cette mesure assurerait bientôt en Russie le triomphe définitif du mouvement commercial et des arts sur les velléités guerrières. Après l’ère de réformes chimériques où nous place la Chronique des seigneurs d’Aksakova, ce serait l’ère des réformes sérieuses qui commencerait.


H. DELAVEAU.