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en marbres, ont donné à leurs constructions quelque chose de plus libre, comment la Phrygie a eu ses sculptures dans le roc, la Cappadoce ses grottes, comment l’Egypte a imité de même, avec ses grès et ses granits, les excavations naturelles qui se produisent dans les rochers qui forment sa limite sur le désert de Lybie. Dans la Mésopotamie et les pays arrosés par l’Euphrate, les gypses dominant, le plâtre revêt un bâtiment léger et se couvre de sculptures nombreuses. Les Africains se servent de la brique et même du bois de dattier, malgré sa mauvaise nature et en l’absence d’un bois plus dur. N’est-il pas évident que ces nécessités si diverses ont entraîné la diversité des caractères dans les ouvrages des habitans de ces contrées? L’aspect de l’homme lui-même y change suivant le climat; celui des animaux ne paraît pas moins varié ni moins étrange.

Le chameau, qui semble grotesque à un habitant de Paris, est à sa place dans le désert : il est l’hôte de ces lieux singuliers, tellement qu’il dépérit si on le transporte ailleurs; il s’y associe par sa forme, par sa couleur, par son allure. Les Orientaux l’appellent le vaisseau du désert. Lancé à travers des océans de sable, il les traverse de sa marche régulière et silencieuse, comme le vaisseau fend les flots de la mer. Que diraient nos femmes aimables de ces poésies orientales dans lesquelles on compare les mouvemens harmonieux d’une fiancée à la marche cadencée d’une chamelle? La girafe, qui n’a pas obtenu beaucoup de faveur à Paris et qui a paru un animal manqué, produit un effet tout différent quand on la rencontre dans son cadre naturel, c’est-à-dire au milieu des forêts dont elle broute les hautes branches et dans ces plaines immenses qu’elle parcourt avec une rapidité proportionnée à la longueur de ses jambes. Je lis dans le journal d’un Anglais voyageur en Afrique. « Les girafes semblent admirablement destinées à orner les belles forêts qui couvrent les immenses plaines de l’intérieur. Quelques écrivains ont découvert chez ces animaux de la laideur et une certaine gaucherie : pour moi, je les regarde comme les plus beaux de la création. Rien n’égale la grâce et la dignité de leurs mouvemens, lorsqu’éparpillées çà et là, elles broutent les bourgeons les plus élevés et dominent de leurs têtes le dôme des acacias de leurs plaines natives. On ne peut connaître et apprécier les avantages ou le degré de beauté des animaux qu’aux lieux où la nature elle-même les a placés. »

« Les miracles, dit Montaigne, sont selon l’ignorance où nous sommes de la nature, non selon l’être de la nature. L’assuéfaction endort la vue de notre jugement. Les barbares ne nous sont de rien plus merveilleux que nous sommes à eux, ni avec plus d’occasions, comme chacun avouerait, si chacun savait, après s’être promené dans ces lointains exemples, se coucher sur les propres et les conférer sainement. »