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sement fondu le style de Haydn avec celui de Mozart ! Mais voudra-t-il mettre un frein à son imagination? voudra-t-il l’astreindre à un ordre, la renfermer dans une juste mesure? voudra-t-il préférer le beau au bizarre? »

Aucun homme de génie n’a eu autant que Beethoven la volonté bien délibérée du rôle qu’il se proposait de jouer dans l’art, aucun révélateur de formes nouvelles ne s’est fait une conscience plus nette du but qu’il s’était promis d’atteindre. Excepté Gluck peut-être, qui dès son entrée dans la carrière de compositeur dramatique s’est trouvé en contact avec l’orgueil des virtuoses et toutes les invraisemblances de l’opéra italien auxquels il n’a pas daigné se soumettre, Beethoven est certainement l’artiste de génie qui a eu le plus d’empire sur l’acte mystérieux de sa propre inspiration. Après avoir subi, comme tous les hommes supérieurs, l’influence du milieu où il s’est produit, Beethoven s’est dégagé violemment de la tradition qui l’avait nourri. L’auteur de la Symphonie avec chœurs et des cinq derniers quatuors a bien voulu ce qu’il a accompli, et si cette exubérance de la volonté dans un art d’imagination et de sentiment fait la grandeur de Beethoven et le rattache étroitement au siècle où il a vécu, elle est aussi la source de ses infirmités.

Le livre de M. Oulibichef est divisé en trois parties, qui pourraient être mieux circonscrites dans leur objet et saisir plus vivement l’esprit du lecteur. On s’aperçoit tout d’abord que M. Oulibichef n’a pas une idée bien nette du but qu’il veut atteindre. Les faits particuliers débordent le cadre où il a voulu les renfermer, et obscurcissent la notion générale, qui manque de relief dans la pensée de l’auteur. Après quelques pages d’introduction, où M. Oulibichef raconte les circonstances qui l’ont amené à écrire un ouvrage sur Beethoven, vient un long chapitre consacré aux progrès qu’a faits l’art musical depuis la mort de Mozart et pendant les vingt-cinq premières années de notre siècle. Rappelant l’idée qui sert de conclusion à la vie de Mozart, M. Oulibichef ajoute : « Or ce caractère d’universalité que Mozart imprime à quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre m’avait paru le progrès immense que la musique attendait pour se constituer définitivement, — pour se constituer, avais-je dit, et non pour ne plus avancer[1]. » Ainsi donc M. Oulibichef n’arrête pas son admiration à l’avènement de Mozart, il croit encore à des progrès possibles après l’auteur de Don Juan; mais il ne définit d’une manière satisfaisante ni le caractère des innovations qui peuvent s’accomplir sans altérer l’essence de l’art, ni la limite qui sépare l’œuvre de Beethoven de celle de ses deux illustres prédécesseurs, Haydn et Mozart. En général, il y a dans tout ce premier chapitre beaucoup de mélange, des rapprochemens qui étonnent par leur étrangeté, et au fond plus de lieux communs que d’aperçus nouveaux. Dans le second chapitre, M. Oulibichef raconte brièvement la vie de Beethoven, en s’appuyant sur la biographie de M. Schindler et sur quelques renseignemens donnés par Seyfried dans les Études de composition de Beethoven. Il divise la courte existence de ce grand musicien en trois périodes, auxquelles il rattache successivement les différentes compositions qui forment l’ensemble de l’œuvre de ce profond génie. Cette division de l’existence matérielle de Beethoven, servant de base à la classification de l’œuvre de l’artiste, nous semble être le procédé le plus

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