Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus que jamais la cour de Pékin devait croire à sa supériorité sur toutes les autres nations du monde.

L’excès de confiance est fatal cependant aux gouvernemens comme aux particuliers. Ce premier résultat de la lutte, ce succès de la politique de Loo devait conduire le haut commissaire Lin aux actes d’arbitraire qui lassèrent enfin la patience de la Grande-Bretagne. Nous n’avons pas à discuter ici la question de l’opium trade[1] ; mais n’y a-t-il pas tous les symptômes d’une violence aveugle dans cette mesure de Lin frappant de la même menace et les marchands d’opium et les négocians qui s’étaient toujours publiquement opposés à ce trafic, comme M. Charles King, et des missionnaires, des médecins comme le docteur Parker, bénis par des milliers de malades, et qui tous furent retenus en otages à Canton jusqu’au moment où le capitaine Elliot vint partager leurs dangers et les délivrer, en assumant la responsabilité de la remise aux mains du commissaire impérial de plus de vingt mille caisses d’opium ? Si l’Angleterre a laissé flétrir du nom d’opium war la guerre de 1840, si l’Europe, indifférente d’ailleurs, n’a pu après elle lui donner un autre nom que celui contre lequel le gouvernement britannique ne protestait point, il est bon de montrer que telle n’était pas l’opinion des Européens qui, résidant depuis longtemps en Chine, voyaient les événemens de plus haut et de plus loin. « Tous ceux qui avaient vécu en Chine, dit M. Wells Williams[2], sentaient que les motifs qui poussaient l’Angleterre dans cette lutte étaient supérieurs au prétexte de recouvrer une somme quelconque… Dans toutes leurs relations avec les étrangers, les Chinois maintenaient une politique hautaine, méprisante, qui ne leur laissait pour alternative que de se retirer des rivages de l’empire, ou de se soumettre à des humiliations que nul homme ayant quelques sentimens de dignité ne pouvait souffrir. Justement fiers de leur pays en le comparant aux états voisins, l’empereur, les magistrats, le peuple, tous le croyaient inattaquable, redoutable et singulièrement riche en science, en pouvoir, en territoire, en population. Nul d’entre eux n’imaginait qu’il pût gagner quelque profit ou quelque instruction à entrer en rapports avec les autres nations. Les Chinois avaient, à la vérité, de mauvais spécimens du pouvoir, de la science, du caractère des sociétés occidentales, mais ils eussent pu facilement apprendre la vérité réelle sur tous ces points. Cette prétention des Chinois à la supériorité et la ligne de conduite qui en découlait étaient une plus puissante barrière autour de l’empire que les immenses murailles qui l’enferment. La force semblait le seul

  1. La question anglo-chinoise de 1840 a été traitée par M. Adolphe Barrot dans la Revue, livraisons du 15 février, 1er mars, 1er et 15 juin 1842.
  2. Middle-Kingdom, v. II.