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division du contre-amiral Pellion était pour nous un événement des plus heureux, et les nombreux madriers qui se trouvèrent si à propos sous notre main servirent à élever des palissades de clôture que l’ennemi eût difficilement escaladées.

Je trouve dans les notes manuscrites d’un touriste qui visita Kinburn en 1853 quelques indications sur la presqu’île dont le sort des armes venait de livrer les abords à la France. À l’entrée du liman, ce voyageur remarqua Kinburn à sa droite, et un peu plus loin à sa gauche Otchakof. Il évalue à quatre cents hommes la garnison qui occupait Kinburn en 1853, et parle des travaux de la forteresse comme peu importans[1]. La fondation de Kinburn remonte à la domination turque : c’est le traité de Kutchuk-Kaïnardji qui l’a donné aux Russes (1774). Défendue par le célèbre Souvarof, cette forteresse résista en 1786 à tous les efforts, des Ottomans, lesquels furent repoussés après trois assauts malheureux. Otchakof est dans une position très différente de celle de Kinburn. Du haut de l’éminence où le château est comme perché, le regard se promène à gauche sur toute l’étendue du liman, à droite et en face sur la Mer-Noire. La ville a été détruite, et Otchakof n’est plus qu’une position militaire. C’est le 17 décembre 1788 qu’elle fut emportée d’assaut par les Russes, à la faveur d’un hiver très rude qui avait gelé le liman. Leur triomphe fut souillé par d’horribles massacres. Non-seulement la garnison fut passée au fil de l’épée, mais les soldats russes égorgèrent pendant trois jours des vieillards, des femmes, des enfans. Les noms de Potemkin et de Souvarof se lient tristement au souvenir de cette affreuse boucherie.

Le pays où nous venions de nous établir avait, on le voit, de tragiques et sanglantes annales. Peu d’entre nous toutefois se préoccupaient du passé de la presqu’île ; marins et soldats étaient tout entiers aux émotions du présent. Depuis plus d’un mois, le pavillon des alliés flottait sur Kinburn. Les travaux, poussés avec activité, avaient doté notre nouvelle conquête d’une défense formidable. On aurait en vain cherché sur les murailles rebâties du côté du sud-est d’autres traces de la victoire du 17 que les empreintes toutes fraîches du mortier. Les parapets se dressaient de nouveau, plus solides que jamais, épaulés par des gabions bien enterrés et pressés les uns contre les autres. Les embrasures, où s’étalaient fièrement les pièces de 30 des vaisseaux et les monstrueux canons des batteries flottantes, étaient reconstruites avec le même soin. Les fossés étaient entourés de barrières colossales. « Lorsque les Russes rentreront

  1. Il faut croire que ces travaux avaient été poussés avec une grande activité depuis l’époque de ce voyage. En effet, lorsque nous primes Kinburn, la forteresse était défendue par 1,500 hommes et 174 bouches à feu ; elle renfermait 2,500 projectiles, 120,000 cartouches, 3 poudrières, etc.