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touchant dans le temple de la famille et des vertus privées. Il existe en Angleterre toute une littérature du coin du feu, littérature à bon marché, qui consiste en magazines, en miscellanies, en nouvelles et en romans. Cette bibliothèque de la maison n’a pas, je l’avoue, au point de vue de l’art une très grande valeur, et je m’explique fort bien que les critiques l’aient généralement dédaignée ; mais elle présente au moraliste un intérêt particulier[1]. L’Anglais est chez lui ce qu’il est dans son île, peu accessible, réservé, froid : il ne subit pas ses relations, il les choisit ; mais quand la glace se rompt, il laisse voir un cœur bon et généreux. Il en est de même des rapports entre les membres de la famille : le tutoiement banni de la langue (en anglais, on ne tutoie guère que Dieu) répand, à première vue, sur les liens du sang une certaine teinte d’indifférence ; mais on ne tarde point à reconnaître sous ces formes plus sévères un attachement à racines profondes. Cette vie d’intérieur est enchaînée du reste à l’ordre religieux. Le protestantisme anglican a pour ainsi dire transporté le culte de l’église dans la maison. Les grandes fêtes du christianisme sont en même temps des fêtes de la famille. L’Anglais se montre en tout un peuple traditionnel : pour lui, c’est surtout la coutume qui est sainte. De ces solennités religieuses, la plus profondément gravée dans les mœurs est Noël (Christmas). On s’y prépare plusieurs semaines à l’avance. D’immenses troupeaux d’oies s’acheminent gravement du nord de l’Angleterre, par toutes les routes, vers la ville de Londres. Les grands bœufs annoncent leur arrivée sur les chemins de fer ou les bateaux par de sombres beuglemens. Les étalages de viande s’amoncellent en pyramides devant l’échoppe des bouchers. C’est surtout le soir, dans les quartiers populeux de Londres, par exemple dans White-Chapel, qu’il faut voir au milieu d’une foule tumultueuse ces montagnes de comestibles à la lueur des mille becs de gaz, dont la flamme libre oscille sous le vent. On s’occupe en même temps d’orner l’intérieur des maisons : les murs de chaque parlour sont tendus de guirlandes de laurier, de lierre et de houx ; c’est le houx qu’on préfère, car il détache en vigueur sur son feuillage vert foncé des baies rouges qui couronnent agréablement, disent les vieilles chansons, la tête du sombre hiver[2]. Une branche de gui, souvenir des anciennes superstitions

  1. Les archéologues littéraires de la Grande-Bretagne ont recherché les origines du genre domestique. Les uns attribuent cette tranche de littérature à de Foë, d’autres la font remonter au temps de Charles II ; mais il est probable qu’elle est aussi ancienne que la nation anglaise.
  2. On appelle le houx le voyageur [the traveller), parce qu’il voyage de ville en ville et de village en village sur les charrettes ou entre les bras des marchands. Le laurier, dit une chanson populaire, convient à la veuve du soldat et aux poètes, le chêne est l’emblème des forts, le myrte plaît aux belles ; mais le houx, holly, est cher à tout bon cœur anglais.