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LES VOYAGEURS EN ORIENT.

S’il ne s’agissait pas du sort de populations que l’Occident a promis solennellement de protéger, il y aurait plaisir à voir quelle habileté montre la Porte dans la mise en scène de la comédie de civilisation qu’elle joue en ce moment devant l’Europe. Elle ne fait pas seulement des coquetteries aux principes administratifs ; elle en fait aussi au principe électif. Ainsi le firman sur l’église convoque une assemblée nationale extraordinaire qui délibérera sur les règlemens à faire pour l’exécution des nouvelles réformes. Cette assemblée sera élective : quoi de plus libéral ? Seulement cette assemblée sera choisie parmi les notables. Or les notables grecs à Constantinople sont tous attachés plus ou moins à la Porte par leurs fonctions. C’est parmi ces notables que les Grecs en choisiront vingt, et parmi ces vingt la Porte en désignera dix. De plus, tout ce qu’aura délibéré et décidé l’assemblée nationale et extraordinaire du peuple grec sera soumis au conseil du tonzimat, c’est-à-dire au conseil turc, qui prononcera souverainement. Il y a aussi dans le nouveau firman, outre cette grande assemblée, un conseil permanent préposé à l’administration des intérêts matériels de la nation grecque ; mais ce conseil permanent est organisé, comme l’assemblée nationale, pour paraître quelque chose et pour n’être rien. Comment s’étonner qu’en présence de pareilles réformes les Grecs en soient réduits à regretter la vieille organisation de leur église et de leur clergé, malgré ses abus ? Comment s’étonner que la politique occidentale, qui semble patroner et introduire toutes ces innovations oppressives, perde crédit chaque jour davantage en Orient, et que chaque jour davantage la Russie recouvre son ascendant ?

J’ai voulu d’abord expliquer le mystère de ce qu’on appelle la restauration de la Turquie, comment la Porte entend et pratique cette restauration, et comment l’Europe s’y prête, avant de rechercher dans les écrits des plus récens voyageurs en Orient des renseignemens et des détails. Les écrivains en effet qui visitent l’Orient jugent différemment cette restauration. Les uns n’en tiennent aucun compte, ne considèrent que la vieille Turquie, et signalent les abus et les maux intolérables de son gouvernement : tel est Mgr  Mislin. Les autres croient à la régénération possible de la Turquie, ils font bon marché de la vieille Turquie et la maudissent ; mais ils espèrent en la nouvelle : tel est M. Viquesnel. Quelques-uns enfin décrivent l’impuissance ou l’hypocrisie des nouvelles réformes, et n’attendent pas plus de la nouvelle Turquie que de l’ancienne : tel est M. Henri Mathieu.

Voyons d’abord Mgr  Mislin, et suivons-le çà et là dans son voyage.