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des moyens qu’elle employait pour avoir des visions prophétiques et de l’usage qu’elle en faisait. Au moment de ces confidences, elle avait embrassé la religion chrétienne et renoncé par conséquent à son ancienne profession. Elle avait des visions provoquées par les excès de jeûne, et croyait lire dans l’avenir. Elle a fait un tableau représentant les objets qui lui apparurent. Ces figures rappelaient à la prophétesse des couplets magiques qu’elle chantait pour invoquer les esprits de sa vision. Elle prétendait que ces chants lui avaient été enseignés ou inspirés par les génies. Elle consentit à les répéter en présence de M. H. Schoolcraft, qui ne put les entendre sans frissonner et sans être ému jusqu’au fond de l’âme.

Non-seulement la pictographie indienne est parvenue à exprimer des idées, mais elle sait même exprimer des sentimens. Tel capitaine est peint avec des ailes : cela signifie qu’il est impatient de voler à la rencontre des ennemis. Il tient deux talismans, et l’emblème de l’enthousiasme céleste brille au-dessus de sa tête : c’est que la mort ne lui inspire aucune crainte. Il est dépeint terrassé, percé d’une flèche et dévoré par un vautour : cela montre qu’il est décidé à braver la mort.

Ainsi les Indiens d’Amérique sont arrivés à désigner des êtres immatériels, des idées, l’esprit humain avec ses facultés, les génies avec leurs influences, le grand-esprit avec ses attributs, les dogmes religieux, les maximes de conduite, les préceptes de morale, les élans de l’âme, les sentimens du cœur. Ils ont réussi à figurer les rapports que les hommes ont entre eux ou avec les objets extérieurs. Cette partie de leur pictographie est la plus élevée. Pour exprimer les idées, les Égyptiens avaient recours, comme les Indiens d’Amérique, à des signes métaphoriques. Pour un combat, ils peignaient deux mains armées ; pour la prière ou l’invocation, deux bras élevés vers le ciel ; pour un peuple laborieux et soumis, une ruche d’abeilles ; pour la vigilance, un œil ouvert ; pour le silence, un doigt sur des lèvres fermées. Toutefois, outre les caractères figuratifs et les caractères métaphoriques, l’écriture égyptienne en avait d’une troisième espèce. C’étaient des signes représentant les articulations de la parole et les sons de la voix. Champollion en a le premier reconnu l’existence sur la fameuse pierre de Damiette. Ce troisième élément a toujours manqué à la pictographie américaine, et c’est par là qu’elle est inférieure aux hiéroglyphes et nécessairement imparfaite. Les signes américains ne sont qu’idéographiques ; ils veulent exprimer immédiatement les pensées, mais ils ne le font que d’une manière générale et par conséquent incomplète et confuse. L’écriture au contraire est phonétique ; elle représente les paroles, et comme les paroles peuvent représenter toutes les pensées, il s’ensuit que l’écriture alphabétique peut représenter, sinon la pensée même, du moins le langage, qui est l’image exacte de la pensée dans ses nuances les plus subtiles, dans ses détours les plus variés.

Telle qu’elle est néanmoins, la pictographie indienne nous montre les ressources naturelles de l’esprit humain et ses efforts spontanés pour se dégager des langes de la barbarie. Elle nous fait voir comment l’écriture a commencé, par quelles phases elle a dû passer avant d’arriver à cette forme simple et parfaite qui nous permet de figurer aux yeux tous les sons de notre bouche et par conséquent toutes les conceptions de notre esprit. En même temps