Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À ses accords » l’esprit voyait surgir en chœur
Les rêves, les regrets, l’espérance suave,
Et glisser dans l’espace, en blanches visions,
Le cortège voilé de nos illusions.

O musique ! ô magie ! ô fée aérienne,
Qui d’un monde inconnu, descends et nous souris !
Avec tes sons errans de harpe éolienne,
Comme tu sais bercer nos cœurs endoloris
Et nous faire oublier notre âme dans la tienne !
O pur écho du ciel, langue de l’infini,
Souvenir de l’Éden dont l’homme fut banni !

Puisque tu fais sentir ta magique puissance
Aux cœurs les plus étroits dans nos salons fermés,
Qu’est-ce donc, sur des bords pleins de magnificence,
Lorsque le soir descend sur les flots embaumés,
Et qu’échappant à peine à son adolescence,
C’est un cœur inquiet, de désirs dévoré,
Qui s’enivre à longs traits de ton philtre adoré ?

Elle écouta longtemps, et comme dans l’extase,
La voix, la douce voix, et l’air tendre, et les mots ;
Puis, comme une liqueur qui déborde du vase,
Elle sentit son cœur se gonfler de sanglots ;
Et, malgré les replis de son voile de gaze,
Elle ne put cacher le flot silencieux
De pleurs amers et doux qui jaillit de ses yeux.

« Ma sœur, dit Ghuzelli, qu’as-tu ? Quel mal t’oppresse ?
D’où te viennent ces pleurs, et quel est ton tourment ? »
Mais plus elle serrait sur elle avec tendresse
Sa sœur, qui sanglotait contre son sein charmant,
Plus elle redoublait cette étrange détresse.
« Batelier, dit alors Ghuzelli, le temps fuit ;
Retournons à Stamboul ; voici déjà la nuit. »

Et la barque bondit, et dans le fond bleuâtre,
La Pointe du Sérail, et puis la Corne-d’Or,
Déployèrent aux yeux leur vaste amphithéâtre.
Bientôt, pour achever le merveilleux décor,
Les sveltes minarets, d’une blancheur d’albâtre,
Montèrent dans le ciel, et l’on vit de plus près
Les navires du port avec leurs mille agrès.