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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/729

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qu’elle lui a fait. Le premier ensemble du duo qui résulte de la rencontre de ces deux femmes rivales est fort bien, ainsi que la seconde partie, qui produit beaucoup d’effet. Le chœur des damnés, avec leur chef Stello, est d’une belle horreur ; mais ce qui est une inspiration de premier ordre, c’est la prière que chantent ensemble le comte de Poitou et sa fille Blanche, réconciliée avec René :


Seigneur ! que ta divine flamme
Brille au sein du pécheur !…
Seigneur, ouvre à son âme
Le séjour du bonheur.


Ils invoquent le ciel pour le salut de Mélusine repentante, tandis que les damnés commandés par Stello continuent leurs imprécations impies. Ce contraste est vigoureusement rendu par le compositeur, ainsi que l’ensemble général qui termine la lutte des deux principes. Les damnés disparaissent sous la terre qui les engloutit, tandis que Mélusine, réconciliée avec le ciel, expire en odeur de sainteté. C’est le cinquième acte de Robert avec de nouveaux personnages.

Telle est cette œuvre, longue, languissante, d’un style souvent diffus, où l’on rencontre quelques nobles inspirations et un cinquième acte d’un puissant intérêt. Si M. Halévy, qui est avant tout une imagination dramatique, était plus difficile dans le choix des poèmes qu’il veut illustrer de sa musique, s’il consultait mieux ses propres instincts, qui se plaisent dans la grandeur et réussissent toujours dans l’expression du sentiment religieux et de l’amour contristé, il obtiendrait des succès plus fréquens et moins contestés. On le sait, le temps ne fait rien à l’affaire. Lorsqu’on est en état d’écrire une page aussi fortement émue que le cinquième acte de la Magicienne, on n’est pas excusable de surmener sa verve et de ne pas attendre patiemment que la goutte de lumière se soit formée au bout de la plume, comme dit le délicat et ingénieux Joubert.

L’exécution de la Magicienne est très imparfaite. Mme Borghi-Mamo s’agite beaucoup pour donner une physionomie au personnage de la fée Mélusine, sans atteindre le but de ses efforts. Sa prononciation est toujours molle, et sa déclamation, un peu traînante, manque d’originalité. M. Gueymard crie en chantant la partie ingrate de René ; M. Bonnehée crie davantage en sa qualité de nécromancien, et il n’y a que Mme Lauters, devenue depuis six semaines Mme Gueymard, dont la belle voix produise beaucoup d’effet dans le rôle de Blanche. Cette voix, sonore, égale, d’un timbre délicieux, s’est fortifiée depuis quelque temps, et elle lance les notes supérieures la, si, do avec une aisance, avec une ampleur qui n’en détruit pas le charme. Elle chante avec émotion la romance du cinquième acte, et dans la prière finale sa voix domine toutes les autres. Les divertissemens, les décors et les costumes n’ont rien de particulièrement remarquable pour un théâtre comme l’Opéra.

Nous aurions bien d’autres observations à faire sur l’état où se trouve ce grand établissement lyrique, qui devrait être le centre vers lequel convergeraient toutes les imaginations qui auraient une certaine puissance de conception, et le modèle de tous les théâtres de l’Europe. Tant que la France