de l’ignorance et des préjugés. — Soit ! n’ayons pas de préjugés chrétiens, j’y consens ; mais n’ayons pas non plus de préjugés musulmans. Or ces intérêts musulmans que M. de Hell veut que la France défende, quels sont-ils ? Sont-ce des intérêts de justice, de liberté, d’égalité, de civilisation enfin ? Non ; ce sont des intérêts de vieille oppression et de vieille iniquité. De bonne foi, devons-nous prendre parti pour ces intérêts ? La politique de la France en Orient a toujours été impartiale ; elle a soutenu la Turquie mahométane et elle la soutient encore, pourvu que la Turquie veuille bien tenir les promesses du hatti-humayoun et abolir entre ses sujets toute distinction de religion et de race. Elle a soutenu l’Égypte sans demander au pacha d’Égypte et à sa famille, en retour de l’hérédité qu’elle lui faisait accorder, de se faire chrétiens ; elle a soutenu Tunis, et Tunis a continué d’être mahométane. On ne peut pas accuser la France de fanatisme chrétien en Orient. Elle n’a pas hésité à prendre parti pour les intérêts musulmans, quand ces intérêts sont conformes à ceux de la justice, de la liberté, de l’égalité, de la civilisation enfin ; mais quand ces intérêts sont contraires à la civilisation et qu’ils ne se recommandent que par leur titre de musulmans, de quel droit peut-on demander à la France de les soutenir, s’il n’y va pour elle ni de sa politique nationale ni de sa générosité naturelle ?
L’avenir à faire aux populations chrétiennes de l’Orient, tel est le nœud actuel de la question d’Orient. Comment le dénouer ? Les imaginations travaillent sur ce sujet. Comme tout le monde sent l’impossibilité de maintenir le statu quo, comme le hatti-kumayoun devient chaque jour un mot plus vain, excepté pour ceux qui en réclament l’exécution les armes à la main, comme cette instabilité et cette désorganisation universelle du gouvernement turc sont chaque jour plus évidentes, les diplomates songent tout bas aux expédiens à prendre, les publicistes font tout haut leurs propositions. Chacun a son système pour dénouer la question d’Orient et pour la tirer du statu quo où elle est si tristement engagée. Parmi les divers systèmes, un des plus curieux en apparence est celui de J.G. Pitzipios-Bey, qui, dans un écrit récent, propose résolument au sultan de se faire chrétien. « Il n’y a que ce moyen, dit-il, de tout arranger. »
Je ne défends point aux lecteurs de la Revue d’avoir, au sujet de la proposition que fait M. Pitzipios, le sentiment de gaieté que j’ai eu en la lisant pour la première fois. Cependant l’ouvrage de M. Pitzipios, intitulé l’Orient, — les Réformes de l’Empire byzantin, est plus curieux et plus sérieux que ne le croiraient ceux qui le jugeraient seulement sur l’idée de convertir le sultan et sur les motifs de cette conversion, motifs tout politiques et où il n’est pas question