Au-dessous et à côté de l’intervention diplomatique, il y a en Turquie l’intervention des savans, des ingénieurs, des industriels, des capitalistes étrangers. Ici, comme il y a savans et savans, ingénieurs et ingénieurs, capitalistes et capitalistes, tout dépend de la personne. M. Pitzipios, qui me paraît assez imbu des préjugés d’autochthonie qui font la force de la nation grecque, M. Pitzipios donnerait volontiers l’exclusion à tous les étrangers : il voudrait que l’Orient n’appartînt qu’aux Orientaux. En politique, je suis tout à fait de son avis, et j’essaierai même de montrer tout à l’heure que l’Occident s’est trop mêlé et se mêle trop encore de l’Orient, qu’il a trop empêché depuis trente ans et qu’il empêche trop ce que j’appelle les dénoûmens orientaux ; mais quant à l’administration, quant aux travaux publics, quant à l’industrie, je ne crois pas que l’Orient puisse rien gagner à exclure les Occidentaux. Il s’exposerait à exclure la science, la force et la richesse dont il a besoin. Je sais bien que, dans un de ses plus curieux chapitres, M. Pitzipios montre que pendant la guerre d’Orient les commerçans et les industriels étrangers avaient cru qu’ils allaient exploiter seuls le commerce de l’Orient et la dépense des armées alliées ; il montre aussi comment au contraire les profits considérables de ce commerce sont tombés aux mains des négocians de l’Orient, soit arméniens, soit grecs, soit juifs, parce qu’ils connaissent mieux le pays, ses besoins et ses ressources. S’il en est ainsi, et si l’habileté du commerce oriental doit toujours primer le commerce occidental, pourquoi exclure les Occidentaux ? Ils se ruineront dans leur lutte contre les Orientaux, ils s’excluront tout naturellement.
L’Occident croit volontiers que l’Orient ne peut être vivifié et régénéré que par le concours de l’activité et de l’industrie européennes. Nous disons tous cela en Occident avec une certaine vanité : à quoi l’Orient nous répond avec M. Pitzipios, et non sans vanité non plus, qu’il peut très aisément se passer de nous. Je laisse de côté ces piques d’amour-propre ; mais j’insiste sur cette répugnance que M. Pitzipios a pour les étrangers, parce que, d’une part, elle est, je crois, un trait du caractère national, et que d’autre part elle explique certains faits qui arrivent chaque jour en Orient, et que nous ne comprenons pas bien.
Les Grecs ont de tout temps repoussé et dédaigné les étrangers. Ce sentiment, qui est l’excès du patriotisme, a son bon et son mauvais côté. Il a l’inconvénient de ne convenir ni aux jours heureux, car alors il se tourne en orgueil blessant, ni aux jours malheureux, car il risque alors de repousser la sympathie et l’assistance ; mais il convient aux temps ordinaires : il contribue à la force et à l’énergie de la nation. À ce sentiment, aussi ancien que la race grecque, ajoutez, parmi les populations de l’empire ottoman qui ne sont ni