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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/123

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turques ni musulmanes, ajoutez l’intérêt froissé. Autrefois chaque pacha, chaque fonctionnaire turc avait près de lui un Arménien, ou un Grec, ou un Juif, et souvent même les trois à la fois, qui faisaient ses affaires, et qui sous son nom administraient le pays. Le Turc jouissait ou se reposait ; l’Arménien, le Grec ou le Juif agissait et travaillait. Assurément le pays n’était pas bien administré, les effets en font foi ; il était pillé, pressuré, ruiné, mais il l’était à la manière orientale. Aujourd’hui, au lieu de l’Arménien, du Grec ou du Juif, le pacha a souvent près de lui un étranger, un Occidental ; le pays n’est pas moins pillé et ruiné, mais il ne l’est plus selon les mœurs et selon les usages de l’Orient. L’oppression est méthodique, systématique, administrative. Autrefois quelques-uns échappaient par la ruse, par l’intrigue, par l’audace ; aujourd’hui personne n’échappe. Le malheur est plus égal, ce qui fait que le mécontentement est universel. L’Arménien, le Grec, le Juif, qui ont perdu l’emploi intermédiaire et utile qu’ils occupaient, s’irritent contre l’Européen qui les a remplacés. Les rayas et les mahométans aussi se plaignent, ne souffrant pas moins d’exactions. De là dans tous les rangs une plainte, une colère perpétuelles, et cette plainte, cette colère ont pris les Européens pour objet principal de leur haine.

On croit en Occident que l’irritation des populations musulmanes et les excès qu’elles commettent çà et là, même contre les Européens, tiennent seulement à leur fanatisme mahométan, qu’elles haïssent et maltraitent les Européens plus comme chrétiens que comme Européens, qu’elles s’indignent de voir, en vertu du hatti-humayoun, les rayas chrétiens devenus leurs égaux et appelés comme eux aux emplois publics. Il y a du fanatisme mahométan dans l’effervescence des populations mahométanes de l’empire ottoman, mais il y a aussi, selon M. Pitzipios, beaucoup de haine contre les Européens, qui sont partout et interviennent partout, sans que les populations se trouvent soulagées ; c’est même tout le contraire, puisque, grâce aux Européens, les impôts sont devenus réguliers sans devenir moins lourds. Tout le monde paie, et paie autant que lorsqu’il y avait seulement quelques-uns qui payaient. Ces populations grossières et ignorantes ne distinguent pas entre l’intervention salutaire de la diplomatie, qui cherche à améliorer le sort des administrés par la réforme des administrateurs, et l’intervention rapace et intéressée des aventuriers européens, qui se font les instrumens des pachas sous prétexte de se faire leurs maîtres de civilisation. Comme elles souffrent et qu’elles voient l’Europe partout, elles s’en prennent de leurs souffrances à l’Europe. De là ces officiers et ces soldats anglais et français assassinés ou maltraités en divers lieux de l’Orient par des gens du peuple mahométans ; de là tout récemment le consul d’Angleterre à Belgrade presque tué par