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inspirations un peu confuses de la jeunesse n’était pas une conversion fortuite, mais le développement naturel de son âme. Le philosophe complétait le poète, l’artiste et le penseur se soutenaient l’un l’autre. Quand l’auteur d’Ahasvérus et de Prométhée écrivait ses études sur l’épopée, le Génie des Religions, et surtout la réfutation du docteur Strauss, il était en possession de toutes ses forces. Ce sont là les beaux jours de M. Edgar Quinet, c’est la période la plus complète de sa carrière ; j’y trouve l’harmonie vivante dont il parle si bien.


IV

Pourquoi cette période fut-elle si courte ? Après le succès de son cours de Lyon, M. Quinet venait d’être appelé au Collège de France par M. Villemain. C’était le moment où une école funeste transformait la religion en un parti. Au lieu de montrer que le christianisme est l’âme du monde moderne et le principe des progrès durables, des esprits judaïques s’attachaient à l’emprisonner dans le passé. L’état, l’université, la philosophie, la science, toute la société issue de 89 était livrée à l’insulte. Parmi tant d’hommes éminens que poursuivaient les pamphlétaires, M. Quinet, un des premiers, fut en butte aux outrages. Ame religieuse, faite pour la contemplation et l’étude, il était mal préparé au choc de ces passions grossières. Ce fanatisme à froid lui parut odieux. Il devait mépriser l’injure et poursuivre son œuvre ; il accepta la lutte et se laissa entraîner hors de ses voies.

Je viens de relire les ouvrages que M. Quinet a publiés sous l’impression de ces luttes : les Jésuites, l’Ultramontanisme, le Christianisme et la Révolution française, Mes Vacances en Espagne. Toutes ces discussions ont bien vieilli, c’est là ce qu’il y a de mieux à en dire. Ahasvérus, Prométhée, l’Histoire de la Poésie, l’étude sur Herder, l’étude sur le docteur Strauss, bien d’autres pages de M. Quinet sont encore pleines de jeunesse et de vie ; ses polémiques de 1843 à 1848 ne sont plus aujourd’hui que les fantômes de nos vieilles colères. L’éloquent écrivain a dit quelque part : « Je serais bien malheureux si les violences de mes adversaires avaient réussi à m’ôter l’équilibre qui fait une âme juste, car alors je serais forcé d’avouer qu’ils ont été les plus forts ; mais au contraire, comme ils n’ont pas réussi à m’enlever la paix intérieure et le désir de la justice, je suis autorisé à dire que c’est moi qui les ai vaincus. » Eh ! sans doute M. Quinet a vaincu ses adversaires, puisqu’à l’outrage et à la calomnie il n’a opposé que la philosophie et l’histoire ; j’oserai demander pourtant si une victoire comme celle-là suffisait à un esprit