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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/231

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engagemens, voilà la meilleure et la plus fière réponse que nous ayons à faire aux injustes imputations de l’Angleterre. Dans l’œuvre pratique de l’abolition de la traite et de l’esclavage, nous n’avons ni fait d’aussi grandes choses ni encouru d’aussi lourds sacrifices que les Anglais, et nous le regrettons. Nous n’avons pas dans le triomphe de cette grande cause de noms à mettre à côté des noms de Wilberforce, de Clarkson et de Brougham. Cependant, si un élan de la conscience eût suffi pour accomplir cette œuvre si vaste et si difficile de la rédemption de l’esclavage, nous pourrions en réclamer pour la révolution française la glorieuse initiative. La révolution française a proclamé l’émancipation des esclaves avec ce cri stoïque et si calomnié parti de la poitrine de Barnave : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » Il faudrait que l’abaissement moral eût fait de bien grands progrès avant que nous pussions oublier ou renier cette tradition.

Au surplus, un profond changement s’est opéré dans l’opinion publique en Angleterre sur les moyens de réprimer la traite des noirs. Cette police des mers que l’Angleterre s’était arrogée, cette répression par les croisières que lord Palmerston en particulier avait organisée et entretenue avec une obstination si tracassière, cette inquisition qui avait non-seulement l’inconvénient de lui coûter cher, mais qui lui suscitait à chaque instant des difficultés avec les puissances maritimes, tout ce système est bien près d’être abandonné comme une vieillerie nuisible aux intérêts anglais et inefficace contre l’odieux trafic qu’on veut détruire. Des idées plus sensées prennent la place du système épousé autrefois par lord Palmerston. Les libéraux anglais comprennent qu’ils font un métier de dupes à vouloir imposer par la contrainte leurs idées morales aux nations qui ne les acceptent point. Ils adoptent le chacun chez soi en fait de philanthropie comme en matière d’institutions politiques, et ne prétendent pas à une autre propagande que celle de l’exemple. Le ministère tory et les radicaux sont d’accord sur ce point, et la solution des récentes difficultés soulevées par les États-Unis inaugure cette nouvelle politique. C’est aux applaudissemens unanimes de la chambre des communes que le sous-secrétaire d’état des affaires étrangères, M. Fitzgerald, a exposé la pensée du gouvernement anglais relativement aux réclamations américaines. Les légistes de la couronne ont déclaré que les vaisseaux anglais n’ont point, en temps de paix, le droit de visiter les navires appartenant à un pays qui ne leur aurait pas concédé ce droit par un traité particulier. Or telle est la position des États-Unis, telle est aussi la nôtre vis-à-vis de l’Angleterre. Le ministre des affaires étrangères des États-Unis, le général Cass, a posé, dans une lettre récente adressée au ministre anglais à Washington, avec une heureuse netteté d’expressions, le principe qui doit régir l’exercice délicat du droit de visite en temps de paix. « Un navire marchand en pleine mer, dit le général Cass, est protégé par son caractère national. Celui qui y pénètre de force le fait sous sa propre responsabilité. Sans doute, si un navire usurpe un caractère national auquel il n’a pas droit, et s’il navigue sous de fausses couleurs, il ne saurait être protégé par la nationalité qu’il usurpe. De même qu’un officier chargé d’exécuter un mandat d’arrestation est obligé de vérifier l’identité de la personne qu’il arrête et détermine cette identité à ses risques et périls, de même l’identité nationale d’un navire est déterminée à ses risques et périls par celui qui, dou-