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les Sept-lles, son zèle à combattre les musulmans, disposent les insulaires à oublier les rigueurs de sa domination, le despotisme et la vénalité de ses fonctionnaires, les violences souvent intolérables de ses marins et de ses soldats. D’ailleurs, ainsi que M. Hermann Luntzi l’insinue spirituellement, entre des Latins et des Hellènes il existe tant de points de contact qu’ils sont toujours disposés à une indulgence mutuelle.

La fête de saint Arsène prouvait mieux encore avec quelle force de volonté Venise obligeait la hiérarchie romaine à se prêter à ses vues. Arsène, ayant défendu la cause des Corcyréens contre les agens de Constantin VII, empereur de Byzance, avait été canonisé par la reconnaissance populaire. Le jour de sa fête, le clergé catholique se réunissait au clergé orthodoxe pour célébrer ses vertus dans l’église qui lui était dédiée. Le gouvernement ne manquait point d’assister à la cérémonie. Si l’oreille était choquée de la cacophonie produite par le mélange des chants grecs et latins, l’esprit s’émerveillait de la politique vénitienne, assez habile pour faire servir à ses desseins les prêtres indociles qui, à Canossa, n’avaient pas craint de fouler aux pieds la couronne impériale de Henri IV.

Les représentans de Venise présidaient avec la même bienveillance à l’élection du protopapa de Corfou. On sait que les premiers chrétiens choisissaient eux-mêmes leurs pasteurs. En Orient, les églises restent fidèles à ce grand principe toutes les fois que les princes ne leur interdisent pas l’exercice du droit sacré d’appeler au gouvernement des âmes ceux qui en paraissent les plus dignes. L’église gallicane, — qui se rapprochait en tant de points de l’église orthodoxe, — avait la même discipline jusqu’à François Ier et n’y a renoncé qu’avec les plus vifs regrets et contrainte par la violence. Venise, qui n’avait pas eu l’imprudence, commise par d’autres états catholiques, de confier au pape la désignation de l’archevêque romain, avait cru d’un autre côté pouvoir, sans inconvénient, laisser à la noblesse et au clergé de Corfou le choix du protopapa, afin de prouver qu’elle ne pensait pas avoir le droit d’intervenir dans les affaires intérieures d’une église qui n’était pas la sienne. L’élection se faisait dans la salle où la noblesse tenait ses assemblées. Les Ioniens, tout en vénérant les reliques du berger Spiridion, ne portaient leurs suffrages que sur un gentilhomme. Le général et les autres chefs du gouvernement, entourés de « leur cour, » présidaient la réunion électorale. A peine son excellence avait-elle proclamé le nom de l’élu, qu’on le revêtait d’une longue robe de satin cramoisi, qu’on posait sur sa tête un vaste chapeau de velours de la même couleur, et qu’on mettait dans ses mains le bâton pastoral en ivoire. On le plaçait ensuite dans un fauteuil fourni par le général, et quatre fantés (valets de ville) l'élevaient sur leurs épaules et le transportaient à la cathé-