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drale tandis que le canon retentissait et que les cloches sonnaient à toutes volées. Le général, accompagné d’un détachement de troupes, prenait part à cette marche triomphale. Le protopapa de Corfou se distinguait de ceux des autres îles par le titre de grand-protopapa. Il relevait immédiatement du patriarche de Constantinople et avait des pouvoirs épiscopaux. Il pouvait donc en marchant appuyer à terre le bâton pastoral. Seulement ses fonctions expiraient au bout de cinq ans, et il ne lui restait de son règne éphémère que le droit de porter une ceinture cramoisie.

L’archevêque de Céphalonie, qui avait sous sa juridiction le protopapa de Zante, était élu à peu près de la même manière sous la présidence du général. Il pouvait communiquer librement avec son supérieur le patriarche de Constantinople. La protection que Venise accordait à l’église orthodoxe n’était pas complètement désintéressée. Quand le général ne voulait pas employer la force des armes contre un village récalcitrant, il sollicitait une excommunication. Or la fréquence des excommunications ne les rendait pas moins redoutables. Les excommuniés aimaient mieux obéir que de rester dans l’isolement complet auquel étaient condamnés ceux que les foudres de l’église atteignaient. Les couvens ioniens étaient aussi efficacement protégés que les moines catholiques tolérés par la république. Venise n’avait introduit à Corfou que des franciscains. Hostile à l’inquisition, elle se défiait de ses agens dévoués, les dominicains, et n’avait pas beaucoup plus de goût pour ces jésuites qui ont fait en Allemagne la longue Saint-Barthélémy qu’on a nommée la « guerre de trente ans. » Il n’est pas inutile d’ajouter que les trois monastères de franciscains établis à Corfou dépendaient, non de l’archevêque, mais des autorités qui avaient à Venise la surveillance des ordres religieux. La sérénissime république prenait toutes les précautions pour paralyser le pouvoir formidable de la théocratie romaine. Les couvens orthodoxes n’inspiraient pas aux autorités vénitiennes les mêmes inquiétudes. L’organisation des moines de Saint-Basile, qui n’est point centralisée, n’est pas redoutable comme celle des congrégations du catholicisme. Venise leur avait donc laissé leurs biens, que chaque communauté gérait elle-même. La principale des Strophades était même tout entière occupée par les caloyers du monastère du Rédempteur, bâti par une princesse de la famille Tochi.

Quelques monastères de femmes recevaient des pensionnaires avec l’approbation des autorités. L’éducation y était à peu près aussi nulle que dans les communautés italiennes. Les jeunes filles y apprenaient à filer et à tricoter, rarement à coudre, plus rarement encore à lire et à écrire. Lorsque les Vénitiens s’établirent à Corfou, on se préoccupait d’autant moins de l’éducation des femmes qu’elles